« Elle nous entraîne dans sa chute »

N° 275 - Février 2023
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Gwen, 23 ans, souffre d'un épisode dépressif caractérisé. Déchirés par ses appels de détresse réguliers, ses parents, démunis, peinent à trouver la bonne distance.

Gwen, 23 ans, est étudiante à l’École normale de musique de Paris. Elle joue de la contrebasse et participe à plusieurs groupes de jazz formés par ses camarades de classe, dont un de jazz manouche qu’elle affectionne particulièrement. Il y a un peu plus d’un an, ses parents ont contacté notre consultation après avoir reçu un appel alarmant de leur fille : elle affirmait se tenir au bord de sa fenêtre et chercher des rai- sons de ne pas sauter. Depuis, la jeune femme est suivie par notre équipe pour un épisode dépressif caractérisé résistant, traité par plusieurs antidépresseurs sans amélioration notoire à ce jour.

  • Un double discours

Enfant unique, Gwen a grandi en Bretagne. Ses parents financent son studio et ses études et affirment « la porter à bout de bras depuis toute petite ». Elle est née avec une malformation cardiaque qui a nécessité une opération à cœur ouvert. Il n’y a pas eu de séquelle, mais Gwen demande souvent à ses parents pourquoi ils ne l’ont pas laissé mourir à ce moment-là plutôt que de lui imposer une existence de souffrances. Elle affirme froidement qu’elle se

serait déjà suicidée si elle n’était pas retenue par le fait de provoquer une souffrance incommensurable à ses parents. Gwen explique que seule la musique lui procure des émotions. Elle se sent vide et sans affects et voit la vie comme un chemin parsemé de ronces et d’épines, malgré le soutien et l’amour de ses parents.

Après une rupture sentimentale, Gwen envoie un texto à sa mère, la suppliant de la laisser mourir. Dans le même temps, comme elle refuse d’ouvrir sa porte, des amis inquiets appellent les pompiers. Ils la trouvent allongée par terre, secouée de sanglots. Après une courte hospitalisation en psychiatrie et une amélioration des symptômes, elle rentre chez elle.

Trois jours plus tard, sa mère m’appelle, « au bout du rouleau ». Depuis deux jours, Gwen envoie de nombreux SMS à ses parents, disant que sans son petit ami, sa vie n’a plus de sens, qu’elle veut arrêter l’école, se fiche de ses prochains concerts et veut « tout plaquer ». Sa mère, qui vient de passer la nuit entière au téléphone avec sa fille, pleure et me demande ce qu’elle doit faire. Gwen lui a reproché de l’avoir mise au monde et l’accuse d’être responsable de tous ses maux. « Gwen est en train de tout saborder, me dit sa mère. Elle doit jouer avec son groupe dans un lieu prestigieux et si elle n’y va pas, elle compromet son avenir de musicienne.» La veille au soir, son mari a quitté la maison très en colère. Il se sent coupable de la situation, affirme que tout est de sa faute car il n’a pas suffisamment soutenu sa fille quand elle était petite, en lien avec son poste à responsabilités. « Gwen nous entraîne tous dans sa chute», murmure sa mère au téléphone, des larmes dans la voix. Elle est inquiète pour sa fille mais aussi pour son mari, qui ne répond pas au téléphone. Selon elle, il est très impulsif et pourrait tout quitter du jour au lendemain. « Comment je vais faire pour financer l’école de Gwen et son studio, c’est impossible avec mon seul salaire, je n’y arriverai jamais ! »

Je tente de rassurer cette maman comme je peux. J’ai justement vu Gwen avec son psychiatre, juste après sa sortie de l’hôpital, il y a 2 jours. Elle allait mieux, n’avait plus d’idées noires, ses prochains concerts lui tenaient à cœur, ainsi que sa formation. Elle avait promis de ne plus envoyer de SMS à son « ex » et nous avions évoqué ensemble les ressources à sa disposition (soutiens à contacter, activités…) si jamais elle avait à nouveau des crises de larmes ou des idées noires.

Sa mère estime alors que Gwen a un double discours. Je lui propose de joindre Gwen pour évaluer son état psychique et lui conseille prudemment de prendre de la distance avec sa fille, de la renvoyer vers notre équipe soignante quand elle n’a plus la force de l’écouter. En tant que mère, le désir de mort de sa fille est un déchirement. Je la sens nerveuse, à bout, et cherche à la rassurer, son mari rentrera bientôt et pourra m’appeler s’il en ressent le besoin. Mettre du sens et des mots sur la souffrance de ces parents constitue une première étape. Je les invite aussi à se joindre par téléphone au prochain entre- tien médical si leur fille est d’accord.

  • Les « nœuds » dans les liens

Nous rencontrons souvent des parents très démunis face à la souffrance de leur adolescent ou jeune adulte. C’est souvent à cet âge que s’exacerbent des difficultés à se séparer ou des « nœuds » enracinés dans l’enfance. Aider les jeunes nécessite alors d’épauler leurs parents. L’équipe soignante peut se positionner comme un relais ou un tiers médiateur…

Virginie DE MEULDER
Infirmière, Consultation jeunes adultes Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences

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