Le corps comme un objet…

N° 276 - Mars 2023
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Imany est une grande et belle mannequin de 25 ans. Prise dans des contradictions insolubles, rongée par des idées suicidaires, elle cherche de l'aide…

En pleurs, lâchant quelques mots entrecoupés de sanglots, une jeune femme se présente à la consultation, comme en quête d’une bouée de sauvetage… Malgré un pull informe et un jean très large, elle est grande, fine, et dégage une beauté qui attire le regard. Je l’accueille, parviens à la rassurer un peu, et écoute son histoire. Imany, 25 ans, d’origine africaine, est mannequin depuis quelques années. Habituellement, elle vit seule dans un studio, mais un ami d’enfance, inquiet pour elle, l’héberge depuis quelque temps. Elle n’a plus de contact avec des parents, qui résident en banlieue parisienne. Elle a un frère, étudiant, avec qui elle a gardé quelques liens et qu’elle aide financièrement quand elle le peut.

« Je ne le mérite pas… »

Le nœud du problème réside pour elle dans son travail, qu’elle ne supporte plus. Mais je vais découvrir, par bribes, une histoire douloureuse et marquée de multiples paradoxes.
Imany se trouve laide et déteste son corps. Elle a subi des violences tout au long de son enfance de la part de ses parents et d’autres membres de sa famille. Depuis l’adolescence, elle se scarifie lors de moments de colère. Aujourd’hui, elle se brûle sous les aisselles pour que les cicatrices ne soient pas visibles sur les photos de mode. Elle a déjà tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours en absorbant des doses massives d’alcool, et a effectué plusieurs passages aux urgences pour des comas éthyliques.

Depuis plusieurs mois, elle pleure tous les jours. Quand elle n’a pas de missions, elle reste dans son lit. Cela fait une semaine qu’elle ne parvient plus à aller travailler ni d’ailleurs à se laver… Elle sort tous les soirs avec des amis en consommant de grosses quantités d’alcool pour « oublier » les idées noires. Elle fume du cannabis « pour dormir et ne pas penser ». Imany souffre d’une immense culpabilité de pas aider ses proches, comme « la tradition » l’exige. Mais en Afrique, explique-t-elle, « les familles acceptent difficilement que les filles travaillent dans la mode. Mes parents me disaient que j’étais trop maigre, que je ressemblais à un garçon et que je n’avais pas de formes. On me disait que j’étais squelettique, que je serai stérile… » Finalement, la jeune femme a coupé les ponts mais en souffre énormément. Elle confie ne jamais parler spontanément de son métier, par peur d’être jugée ou, à l’inverse, d’être approchée uniquement par curiosité du mannequinat. Imany aimerait trouver «un vrai métier», comme serveuse, couturière… et surtout pas « ce travail de mannequin trop bien payé [qu’elle] ne mérite pas ». Je suis très touchée par cette jeune femme. Tant de honte à parler d’un travail que j’imagine exténuant, exigeant et demandant un contrôle total de son apparence et de son poids… À la fois pour la rassurer et l’encourager à s’exprimer, je tente de formuler mon empathie : elle est courageuse et travaille dur au quotidien pour renvoyer du rêve et de la beauté… Elle paraît sincèrement étonnée, puis baisse la tête et murmure: «Quand les gens viennent me parler, c’est pour me dire que je fais un métier cool et que je dois m’éclater. Je ne peux pas leur dire que ce n’est pas vrai. Mon ami d’enfance est informaticien, quand il est fatigué, il peut fermer la porte de son bureau et se reposer. Moi, je dois toujours être sexy et désirable quand je fais des photos ou des défilés. Je dois marcher toute la journée dans des chaussures trop grandes ou trop petites, sans me plaindre, et surtout ne rien manger pour pouvoir rentrer dans les vêtements qu’on me donne. Bien sûr, je gagne bien ma vie et je peux m’acheter ce que je veux mais ça ne suffit pas. Il faut que j’arrête ce travail dès que possible et que je trouve un métier où je puisse être utile, rendre service. »

L’entretien d’accueil

Nous recevons beaucoup de jeunes femmes comme Imany, qui ont subi des violences dans l’enfance, vivent mal leur corps et cherchent à donner du sens à leur vie… Elles viennent consulter quand le quotidien devient trop difficile, quand les symptômes dépressifs les empêchent de travailler, de prendre soin d’elles et de sortir de chez elles ou quand les idées suicidaires sont trop fortes.

Moment crucial, l’entretien d’accueil colore toute la prise en charge. Au-delà d’un traitement médicamenteux, qui pourra être en place par le psychiatre, Imany aura certainement besoin de travailler l’estime de soi, la gestion de ses émotions et l’image de son corps.

Virginie DE MEULDER
Infirmière, consultation jeunes adultes Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.