La vie héroïque de Swann

N° 202 - Novembre 2015
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À bientôt 21 ans, le jeune Swann, qui souffre d’autisme, va devoir quitter l’hôpital de jour. Que va-t-il devenir dans un Esat, lui qui se rêve en Superman ?…

Aujourd’hui, Swann et moi allons visiter un Établissement et service d’aide par le travail (Esat) en banlieue parisienne. Comme il habite tout près, nous avons rendez-vous devant le bâtiment à 14 heures.
Dans le train qui m’y emmène, je pense à Swann en regardant la pluie tomber. C’est un fin jeune homme toujours vêtu avec une élégance qui jure un peu parmi des adolescents en jogging de l’hôpital de jour. Avec son pardessus en laine, sa chemise boutonnée jusqu’en haut et ses chaussures pointues, il déambule en s’arrêtant parfois devant une vitre pour admirer son reflet ou sortir son peigne et se recoiffer. Swann est autiste et n’a pas vraiment d’amis parmi les jeunes. Si on ne prend pas la peine de le stopper pour lui parler, il peut faire les cent pas sans adresser la parole à quelqu’un de la journée.

Préparer la sortie

Comme Swann aura bientôt 21 ans, pour préparer sa sortie, nous lui proposons des stages pour qu’il puisse travailler en milieu protégé, comme le souhaite sa famille. Mais lui, que veut-il? Pas grandchose. Peut-être juste qu’on le laisse rêver et regarder des dessins animés de super-héros qu’il adore. Peut-être s’imagine-t-il en super-héros sauvant le monde et pourchassant les méchants.
Quand il s’énerve, Swann est à la fois drôle et touchant. Je me souviens de sa colère lors d’un entretien quand le psychiatre a évoqué pour la première fois la nécessité de faire des stages. Il s’est recroquevillé sur son siège et a lancé des regards inquiets autour de lui. Il s’est redressé et a lancé un « Non! » menaçant. Sa maman lui a rappelé que ses deux sœurs étaient au lycée et allaient elles aussi faire des stages pour se projeter dans la vie professionnelle. « Toi aussi tu devras un jour travailler pour gagner de quoi vivre, c’est important. » Malgré toute la bienveillance de sa mère, Swann suffoquait d’une angoisse inexprimable. Il s’est levé, et lui a crié au visage d’une manière très théâtrale : « Ça suffit maintenant, j’en ai assez, c’est inadmissible, je vais te… » Et il s’est enfui en claquant la porte.
Arrivée à l’Esat, je m’abrite sous un auvent attenant et j’observe des travailleurs fumer en prenant leur pause. Après m’avoir salué, ils me dévisagent fixement sans se parler. Puis j’aperçois Swann arriver au loin sous un grand parapluie. Je lui demande s’il est prêt, il me lâche un oui un peu mou et nous entrons.
Le responsable nous accueille dans son bureau. Swann se tient droit et ne répond pas aux questions. L’homme regarde Swann et nous propose de le suivre pour la visite. Je suis un peu gênée car il ne s’adresse qu’à moi. J’essaie de centrer le propos sur Swann qui n’a pas l’air d’écouter. La visite est rapide car l’atelier est petit. Comme lors de son stage précédent, Swann fera certainement du conditionnement. Il s’agit de mettre des agendas dans leur couverture, puis de les regrouper par trois pour les mettre dans une boîte. Je suis un peu inquiète car aucun référent de stage n’étant désigné pour le moment, Swann devra se présenter seul le premier jour, ce qui paraît difficilement envisageable mais quelqu’un viendra bien à sa rescousse… Le stage démarre pour deux semaines.

« Je suis de retour… »

À l’hôpital, quand je pense à Swann en train de couvrir des agendas, il me vient des pensées un peu tristes et je me demande s’il s’ennuie, ce qu’il pense de ce travail, certes respectable, mais pas très drôle. A-t-il encore le temps s’évader vers Superman ou Spider-Man quand il range ses cahiers par trois dans la boîte? Je me sens un peu comme un adulte qui priverait un enfant de ses rêves. Le travail des soignants me paraît parfois bien ingrat. Quand on accompagne au quotidien des adolescents, bien sûr très malades, mais qui s’imaginent devenir un jour un héros de Marvel (1), c’est un peu cruel de les envoyer travailler 8 heures par jour… Heureusement, le stage de Swann se passe bien et son référent le félicite. Le jeune homme travaille avec application et se présente tous les jours à l’heure. Seul bémol, il ne parle à personne. Ce lundi, il est revenu à l’hôpital de jour, tranquillement, en posant son imperméable et son parapluie à l’entrée avant de nous saluer. Il a pris une feuille et s’est mis à dessiner en me lançant des coups d’œil et en chantonnant de loin : « Eh! eh! Tu as vu, je suis de retour, tu voulais m’éliminer mais je suis revenu, espèce de… » S’arrêtant brusquement avec un air désolé, la main sur la bouche : « J’ai rien dit, rien dit! »

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Important éditeur américain de bande dessinée, Marvel Comics publie entre autres Spider-Man, X-Men, les Quatre Fantastiques, Hulk, Iron Man, Ghost Rider…, super-héros qui évoluent dans le même monde fictif.