Fin de vie : « il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir »

FacebookTwitterLinkedInEmail

Plusieurs débats traversent de manière récurrente la société à propos de la fin de vie. Citoyens, parlementaires, associations, soignants, intellectuels… discutent de la possibilité, ou non, d’une évolution du droit, les lois actuelles ne prévoyant pas la délivrance d’une aide active à mourir. Si le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a examiné à plusieurs reprises ces questions, il a souhaité à la lumière des évolutions législatives, médicales et sociétales, approfondir certains enjeux éthiques du débat. C’est l’objet de son Avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » dans lequel il suggère « qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir« 

Toutes les réflexions que le CCNE a menées sur la fin de vie depuis 1983 ont été construites sur la recherche d’une juste articulation des principes de liberté, de dignité de la personne, de solidarité, et de respect de l’autonomie. Ces grands principes irriguent la législation française à travers quatre lois qui ont radicalement changé l’approche de la fin de vie. Ainsi, l’obstination déraisonnable (l’acharnement thérapeutique) est interdite ; le respect de la personne est garanti dans les situations où elle n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté, par le moyen des directives anticipées, la désignation d’une personne de confiance et d’une procédure collégiale lors des décisions de fin de vie ; tout malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement et il lui est reconnu le droit de refuser un traitement ; une personne souffrant d’une pathologie grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme a droit, dans certaines situations, à une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Dans son nouvel Avis 139, le CCNE aborde les questions éthiques générées par l’application du droit actuel dans les différentes situations de fin de vie. Il complète son analyse par un certain nombre de propositions. Cet avis est destiné à contribuer aux réflexions de tous : législateurs, citoyens, professionnels de santé, citoyens, chercheurs …

A l’instar de ses travaux passés relatifs à la fin de vie, le CCNE met l’accent dans cet avis sur deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité envers les personnes les plus fragiles, et le respect de l’autonomie de la personne. La conciliation de ces deux principes demeure la ligne directrice du présent avis en toutes ses composantes.

Des évolutions et des limites

Si le CCNE observe une évolution positive du droit des personnes à la fin de leur existence depuis une vingtaine d’années, en particulier grâce à la loi Claeys-Leonetti de 2016, il constate un décalage entre la loi et son application. De ce point de vue, il regrette qu’il n’y ait pas eu de réelles évaluations de l’impact des différentes lois. Il déplore en outre une application insuffisante des plans successifs en faveur des soins palliatifs. Il constate par ailleurs que nos concitoyens ne s’emparent pas suffisamment des mesures leur permettant de désigner une personne de confiance et d’établir des directives anticipées.

En dépit de ces limites, le CCNE estime que le cadre juridique actuel est satisfaisant lorsqu’un pronostic vital est engagé à court terme, « offrant des dispositifs respectueux de la dignité des personnes atteintes de maladies graves et évoluées« . En revanche, certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais à moyen terme, ne rencontrent pas de solution toujours adaptée à leur détresse dans le champ des dispositions législatives. Il en va de même des situations de dépendance à des traitements vitaux dont l’arrêt, décidé par la personne lorsqu’elle est consciente, sans altération de ses fonctions cognitives, n’entraîne pas un décès à court terme. Ces situations, qui restent peu fréquentes, amènent certains à rouvrir la réflexion sur l’aide active à mourir, s’appuyant sur l’expérience de pays ayant légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie pour des patients dont le pronostic vital est engagé à moyen terme.

Un certain fantasme du « bien mourir » ou de la « bonne mort » se développe de plus en plus. De nombreux médecins auditionnés dans le cadre de cet avis ont souligné le danger de laisser courir cette espérance : aucune mort n’est, à proprement parler, douce, qu’elle survienne naturellement ou à la suite d’une aide active à mourir. Qu’elle soit brusque ou prolongée, accompagnée ou solitaire, naturelle ou provoquée, elle demeure une épreuve physique et métaphysique, que la médecine ne peut pas toujours atténuer de façon importante.

Solidarité et autonomie

Les réflexions du CCNE reposent sur la conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité envers les personnes les plus vulnérables et le respect de l’autonomie de la personne. Si le législateur venait à s’emparer de ce sujet, le CCNE considère « qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparait inacceptable de transiger« . Celles-ci devront allier de manière indissociable un renforcement des mesures de santé publique en faveur des soins palliatifs et la prise en compte de repères éthiques majeurs dans les mesures législatives qui seraient prises.

Ces travaux rappellent l’importance de la formation initiale et continue des professionnels de santé aux recommandations de bonnes pratiques, et du développement des soins palliatifs* sur l’ensemble du territoire, au sein des établissements de santé et médico-sociaux ainsi qu’au domicile des personnes. Ils appellent en particulier à intégrer la culture palliative dans tous les actes soignants, y compris le refus de l’obstination déraisonnable. Les précédentes réflexions du CCNE se sont construites sur la recherche de la juste articulation des principes de liberté, de dignité, d’équité, de solidarité, et d’autonomie. 
*Les soins palliatifs ont pour objet de prendre en charge les souffrances physiques et psychiques des personnes atteintes d’une maladie létale à ses différents stades. Ils ne sont pas limités à la phase terminale d’une maladie.

Les propositions du CCNE

Soins palliatifs : renforcer les mesures de santé publique

Il est impératif de renforcer les mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs. Ceci suppose de soutenir l’expression anticipée de la volonté (désignation de la personne de confiance et directives anticipées), de favoriser le caractère interprofessionnel de la collégialité lors de la décision médicale d’arrêt de traitement, d’élargir la sédation profonde et continue au-delà des unités spécialisées.

Le CCNE considère qu’une modification de la loi ou des pratiques qui favoriserait l’amoindrissement du soin relationnel et l’affaiblissement du devoir d’accompagnement, ne serait pas éthiquement admissible. De même, toute évolution de la loi qui laisserait penser que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ou sauvées (en contexte de crise ou de tension sanitaire par exemple) serait inacceptable.

Repères éthiques en cas d’évolution de la législation vers une aide active à mourir

Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, un certain nombre de critères éthiques devront être respectés. Ainsi, dans ce cas « la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques
réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme.
 » La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée. La décision de donner suite devrait alors faire l’objet d’une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient à l’issue d’une procédure collégiale rassemblant d’autres professionnels de santé. Laisser hors du champ de la loi ceux qui ne sont pas physiquement aptes à un tel geste soulèverait un problème éthique d’égalité entre citoyens : C’est pourquoi certains proposent que ces patients puissent disposer d’un accès légal à l’euthanasie, dans
cette seule circonstance, « sous la même condition d’un pronostic vital engagé à un horizon de moyen terme. D’autres estiment que la loi ne doit pas établir d’exception à l’interdit de donner la mort et souhaitent que les décisions médicales face à des cas exceptionnels soient laissées, le cas échéant, à l’appréciation du juge. Le CCNE laisse
au législateur, s’il s’emparait du sujet, la responsabilité de déterminer alors la démarche la plus appropriée pour encadrer ces situations
« .

Les professionnels de la santé devraient pouvoir bénéficier d’une clause de conscience, accompagnée d’une obligation de référer le patient à un autre praticien en cas de retrait. Une telle loi, si elle était envisagée, devrait être évaluée régulièrement.

Un débat national nécessaire

L’extrême complexité du thème de la fin de vie qui fait se croiser représentations symboliques et spirituelles de la mort, peur et angoisses, l’expérience toujours vive de l’épidémie de Covid qui se traduit par une crise sans précédent de notre système de santé et la difficulté pour les soignants d’accompagner les patients dans leur parcours de vie nécessitent que s’ouvre un temps de dialogue et d’écoute respectueuse. Le CCNE appelle de ses vœux l’organisation d’un débat national auquel il participera.

Lancement du débat sur la fin de vie fin octobre
Conformément aux engagements pris, le Président de la République a décidé de lancer ce débat dans notre pays. A cette fin, sera constituée dès octobre prochain une convention citoyenne dont les conclusions seront rendues en mars 2023. Elle sera organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dont c’est désormais la vocation. Elle se nourrira d’autres travaux et concertations menés parallèlement avec l’ensemble des parties prenantes en particulier avec les professionnels qui sont régulièrement confrontés à la fin de vie, dans leur pratique et leur quotidien, comme les équipes des soins palliatifs. Ainsi dans le même temps, des débats seront organisés dans les territoires par les espaces éthiques régionaux afin d’aller vers tous les citoyens et de leur permettre de s’informer et de mesurer les enjeux qui s’attachent à la fin de vie. Enfin, le Gouvernement engagera aussi parallèlement un travail concerté et transpartisan aves les députés et sénateurs. L’ensemble de ces travaux permettra d’envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023. "Le débat sur ce sujet délicat, qui doit être traité avec beaucoup de respect et de précaution doit donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir. Le temps nécessaire sera pris, et toutes garanties doivent être données pour assurer les conditions d’un débat ordonné, serein et éclairé".

Une « réserve »

Si ce texte a été voté par la majorité des membres du CCNE, huit membres ont souhaité exprimer une « réserve » qui figure en fin de l’avis.

Avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité« , CCNE. Cet avis a été voté en comité plénier du 30 juin 2022. Certains membres du CCNE ont souhaité apporter une contribution de type « réserve » finalisée le 8 septembre 2022. Cet avis est rendu public le 13 septembre 2022.
Communiqué de presse CCNE, 13 septembre 2022.
• Pour aller plus loin :
– à lire : « Fin de vie : ouvrir le dialogue et accompagner »
– à lire : « Soins palliatifs et fin de vie : le Plan national 2021–2024 mobilise 171 millions d’euros«