Pour une pédopsychiatrie digne de ce nom !

FacebookTwitterLinkedInEmail

Face à la pénurie de professionnels, et à la veille d’une réunion au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, l’ensemble des hospitalo-universitaires de pédopsychiatrie interpellent de chef de l’Etat pour une filière de formation renforcée et attractive dans un courrier commun (ci-dessous).

Lettre à Emmanuel Macron, Pour une pédopsychiatrie digne de ce nom !

La pédopsychiatrie en France a besoin de votre aide. Les besoins pour assurer la santé mentale de la jeunesse de notre pays sont criants. Ce n’est pas tant la supplique d’une profession trop longtemps oubliée des pouvoirs publics qui nous incite à vous interpeller- vous avez commencé à y répondre et nous y sommes sensibles- mais bien la perspective d’une carence massive des soins psychiques adaptés et essentiels pour notre jeunesse qui s’annonce, du fait d’un manque croissant de professionnels formés. Un rapport sénatorial très complet en témoignait déjà en 2017.

La majorité des problèmes de santé mentale débute avant l’âge de 14 ans. Ils sont d’autant plus susceptibles d’impacter l’avenir de l’enfant qu’ils ne sont pas détectés, ni traités, ce qui est actuellement le cas d’une large proportion d’entre eux comme le souligne un récent rapport de l’OMS. La liste du mal-être et des souffrances des jeunes est loin d’être exhaustive, sans oublier ni l’explosion actuelle des besoins des jeunes, amplifiés par le contexte épidémique et qui augure des besoins durables de soins ni les questions essentielles des maltraitances, qui elles aussi requièrent notre intervention du fait des répercussions psychiques.

Pour l’heure, en France, pour environ 200 000 enfants qui auraient besoin de soins, seuls 600 pédopsychiatres (deux fois moins qu’il y a 10 ans) sont disponibles. Cet état de fait entraîne des délais d’accès aux soins interminables et insupportables pour les patients et leurs familles. À cela s’ajoutent des capacités d’hospitalisation toujours insuffisantes et très inégalement réparties. En vous faisant état de cette réalité quotidienne et inquiétante, nous souhaitons vous interpeller afin de mobiliser et d’engager les moyens et les réformes nécessaires.Bien sûr, et nous l’avons noté avec espoir, des signaux positifs ont été envoyés à la pédopsychiatrie par votre gouvernement. On ne peut que s’en féliciter, même si le temps nécessaire à percevoir leurs effets peut paraître encore bien long, ce d’autant que la réforme du financement de la psychiatrie, et donc de la pédopsychiatrie, envisagée n’a pas encore été mise en œuvre.

Mais que seraient des moyens financiers supplémentaires sans professionnels formés et en nombre pour les mettre à profit au bénéfice des patients et de leurs familles ? Former, c’est aussi à ce défi que nous sommes confrontés, et nous ne disposons pas en l’état des moyens nécessaires pour le relever.C’est pour cela que nous sollicitons une action rapide et concrète de votre part, Monsieur le Président. Les capacités de formation de pédopsychiatres étaient déjà insuffisantes avant 2017, mais la réforme de l’internat les a très sévèrement réduites. Ceci, si rien n’est mis en place,conduira à une véritable catastrophe.

Passer en effet de deux stages obligatoires de pédopsychiatrie à un seul sur les huit que compte l’internat réduit la formation minimale indispensable à tout psychiatre. De plus, les internes doivent annoncer leur choix de choisir ou pas cette orientation alors que la plupart d’entre eux n’ont pas encore effectué de stage de pédopsychiatrie. Enfin, donner à notre discipline le statut «d’option» avec des quotas très limités ne valorise pas la pédopsychiatrie alors que nous avons un rôle majeur dans la prévention du développement des troubles psychiatriques.

La pénurie de pédopsychiatres est telle que de très nombreux postes ne sont pas occupés et qu’un psychiatre n’ayant réalisé qu’un seul semestre en service de pédopsychiatrie durant sa formation d’interne peut exercer en pédopsychiatrie. Dans bien des territoires pallier les carences les plus immédiates prévaut sur l’exigence des compétences. Malgré cela, il est fréquent que dans de nombreuses régions de notre pays,les équipes de pédopsychiatrie ne comprennent plus de pédopsychiatres. Ceci ruine les projets d’amélioration des soins appelés de vos vœux et des nôtres : parcours de soins gradués et coordonnés, parcours de vie, projets territoriaux de santé mentale, conseils locaux de santé mentale, plans régionaux de santé mentale, équité territoriale dans l’accès aux soins, couverture des besoins… Les très nombreuses collaborations avec les partenaires de la pédopsychiatrie–(psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes, diététiciens, services sociaux, services judiciaires, éducation nationale, secteur médico-social, associations,)-sont déjà réduites et menacées à moyen terme.

Pour assurer, avec votre aide, son avenir, la pédopsychiatrie française a besoin d’être une filière de formation visible et attractive disposant pour cela des moyens nécessaires, comme c’est le cas pour bon nombre d’autres disciplines médicales et chirurgicales. La pédopsychiatrie a besoin de renforcer et structurer ses capacités de formation. Une commission sous l’égide du Collège National des Universitaires en Psychiatrie (CNUP) est en cours pour réfléchir à une évolution indispensable de son statut pour faire face aux immenses défis qui sont les siens,et éviter une évolution catastrophique.

La pédopsychiatrie française, pour être attractive, et ainsi développer le secteur ambulatoire de ville en complément du secteur public, a aussi besoin d’une revalorisation des actes de consultation,comme cela a pu être fait avec succès en Belgique notamment. Une consultation de pédopsychiatrie est longue. Elle doit être tarifée en conséquence. La gradation et la continuité des soins requièrent cette synergie ville-hôpital.

La pédopsychiatrie française ainsi refondée rejoindrait alors l’immense majorité des pays de l’Union Européenne qui a su depuis plusieurs années prendre le virage d’une formation approfondie. Pour s’approcher des standards européens,au moins six semestres de stage en service de pédopsychiatrie,permettraient une formation complète pour augmenter l’attractivité et la performance, et développer une pédopsychiatrie structurée, en mesure de faire face aux besoins de la jeunesse.

Pour toutes ces raisons, et d’autres encore que nous serions honorés de pouvoir vous expliquer davantage, nous vous demandons,M. le Président,de porter une politique de santé mentale ambitieuse pour les enfants et les adolescents dans notre pays.

Voir la liste des signataires et soutiens, lire le courrier en pdf.