Des recommandations pour de meilleures pratiques infirmières sur le risque suicidaire chez les enfants

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Dans cette nouvelle Quintessence publiée sur le site du Réseau Qualaxia, trois professeures à l’Université du Québec et de Montréal évoquent des recommandations pour de meilleures pratiques infirmières dans le processus d’évaluation du risque de suicide chez les enfants.

Contexte
Pour les cliniciens travaillant auprès des jeunes de moins de 12 ans, il est souvent impensable que ceux-ci puissent souffrir au point de vouloir s’enlever la vie (1). Pourtant en 2014, aux États-Unis, le suicide était la 10e cause de mortalité chez les enfants âgés de 5 à 11 ans (2). De plus, une étude américaine (3) portant sur les raisons de consultation à l’urgence stipule que les consultations pour idées ou tentatives de suicide ont doublé entre 2008 et 2015 chez les enfants de 5 à 17 ans. Au Canada, cette tendance serait semblable (4). L’évaluation de ce risque dès l’enfance est d’ailleurs importante puisque la présence d’antécédents d’idées ou de gestes suicidaires est un facteur de risque critique du suicide (5). Ainsi, un enfant qui aurait des idées
ou des gestes suicidaires serait plus à risque d’avoir de telles idées ou de faire une tentative de suicide à l’adolescence ou à l’âge adulte.

L’évaluation du risque suicidaire prend en considération les caractéristiques de la personne, de l’infirmière et du contexte dans lequel elle se déroule. Il s’agit d’une intervention complexe à effectuer auprès des adultes et encore plus auprès d’un enfant de moins de 12 ans. En fait, tout comme chez l’adulte, l’infirmière* tient compte des antécédents médicaux, des caractéristiques personnelles et cognitives ainsi que du contexte social et culturel. De plus, chez l’enfant, cette évaluation nécessite de considérer de près le niveau développemental ainsi que l’environnement familial et scolaire. Bref, le processus de l’évaluation du risque suicidaire (PERS) auprès des enfants implique l’interaction de l’infirmière (caractéristiques spécifiques) avec l’enfant et sa famille (caractéristiques spécifiques). Le résultat de cette interrelation survient dans un environnement (organisations des soins et lieux physiques) qui à son tour produit des effets sur le PERS. Ainsi, certaines croyances comme le fait qu’il est difficile d’envisager qu’un enfant puisse souffrir au point de vouloir se donner la mort amènent l’infirmière à être inconfortable (présence d’une charge émotionnelle).

Une étude doctorale qualitative en théorisation ancrée, effectuée auprès de 11 infirmières en santé mentale
pédiatrique (2 hommes et 9 femmes) dans différentes régions du Québec, a permis d’identifier deux phases à
ce processus (6). La première est de comprendre les sens de la détresse et la suivante est d’assurer la sécurité
pour l’enfant et pour ses parents. Afin de pouvoir outiller les infirmières à la suite de la schématisation de ces
phases, des recommandations pour le rehaussement de la formation et l’ajout d’outils cliniques ont été
discutés et font l’objet de cette Quintessence.

Rehaussement de la formation infirmière
L’importance d’inscrire systématiquement dans la formation initiale la prévention du suicide auprès des enfants, d’avoir une formation continue régulière à ce sujet et de renforcer la compétence des infirmières à soutenir les parents a fait l’objet de recommandations. Plus précisément, en plus d’aborder les connaissances empiriques sur le sujet, la formation doit permettre aux infirmières d’intégrer les manières dont leurs émotions et leurs croyances influencent leur propre attitude à l’égard d’un enfant à risque et sa famille. En effet, les attitudes de l’infirmière (composantes cognitives, affectives et comportementales) envers les patients susceptibles de se suicider ont un impact sur les pensées et les comportements suicidaires de ceux-ci. Par exemple, une croyance parfois véhiculée est que l’enfant cherche à manipuler les autres avec les propos ou gestes suicidaires (6). Ainsi, cette croyance peut influencer négativement le PERS, car dans le but de faire cesser ces comportements perçus négativement, l’enfant ne sera pas évalué.

La formation initiale en soins infirmiers aborde l’évaluation et la prévention du suicide, mais se concentre sur
la population adulte. Le sujet de la prévention du suicide chez les enfants et les adolescents devrait également faire partie de la formation initiale. Ce sujet devrait aussi faire partie d’une formation continue nécessitant une certification régulière. En effet, les résultats (6) ont permis de mettre en lumière que certaines pratiques infirmières n’étaient pas optimales et pourraient bénéficier d’une formation continue sur le sujet. À cet égard, les infirmières ont mentionné ne pas savoir comment aborder le sujet de la mort et du suicide auprès des enfants et demandent comment faire l’entrevue avec l’enfant et sa famille. De plus, la formation devrait également permettre aux infirmières de renforcer leur capacité à soutenir les parents pour réduire leur sentiment d’incompétence parentale et les mobiliser vers des actions positives. Enfin, la création, dans le cadre d’une formation continue, d’un groupe de codéveloppement interprofessionnel en ligne, pourrait offrir un espace d’échange permettant de discuter de situations, de se soutenir et de renforcer les compétences.

Ajout d’outils cliniques
Par ailleurs, il est important de bien évaluer les pensées et les comportements des jeunes enfants qui
consultent en santé mentale, même s’il n’y a aucune indication de risque suicidaire au moment de la demande de consultation. À ce sujet, l’étude (6) a révélé qu’auprès des enfants l’évaluation du risque suicidaire n’était pas effectuée d’emblée et qu’aucune indication n’était présentée dans l’outil de collecte de données initiales de l’infirmière à ce sujet. Alors que cette évaluation est effectuée plus systématiquement chez les adolescents. Pour cette raison, un canevas d’entrevue utilisé auprès des parents durant l’épisode de soins axé sur le développement des enfants serait nécessaire pour faciliter la détection précoce du risque suicidaire chez les enfants.

En conclusion, le PERS auprès des enfants est une intervention complexe influencée par différents facteurs
comme l’interrelation entre l’infirmière, l’enfant et les parents. Cette interrelation survient dans un
environnement qui à son tour produit des effets sur le PERS. La schématisation du PERS présente deux phases 1) comprendre le sens de la détresse et 2) assurer la sécurité de l’enfant et de ses parents (6). Les
recommandations suggérées incluent : l’intégration de la prévention du suicide chez les enfants dans le cursus initial et la formation continue à une fréquence semblable à celle de la formation en réanimation cardiorespiratoire, afin de parfaire les compétences de l’infirmière. Un groupe de codéveloppement serait utile afin de discuter de cas et d’intervention, et ainsi coconstruire leurs compétences. En clinique, dans un contexte de santé mentale, il est toujours important d’évaluer le risque suicidaire même lorsque l’enfant ne consulte pas pour cette raison. Certains outils cliniques validés peuvent faciliter le PERS auprès des enfants et de leurs familles.

Nathalie Maltais, inf., Ph. D., professeure 1, Christine Genest, inf., Ph. D., professeure agrégée 2, Caroline Larue, inf., Ph. D., professeure titulaire 2
1– Université du Québec à Rimouski
2– Université de Montréal

Quintessence, volume 12, numéro 4, avril 2021

Références
1- Laforest, J., Maurice, P. et Bouchard, L. M. (dir.). (2018). Rapport québécois sur la violence et la santé.
Montréal : Institut national de santépublique du Québec.
2- Lanzillo, E., Horowitz, L. et Pao, M. (2018). Suicide in children. Dans T. Falcone et J. Timmons-Mitchell (dir.),
Suicide Prevention (p. 73-107). Bâle, Suisse : Springer Nature.
3- Plemmons, G., Hall, M., Doupnik, S., Gay, J., Brown, C., Browning, W., … et Williams, D. (2018).
Hospitalization for suicide ideation or attempts: 2008-2015. Pediatrics, 141(6), 1-10.
doi:10.1542/peds.2017-2426
4- Burstein, B., Agostino, H. et Greenfield, B. (2019), Suicidal attempts and ideation among children and
adolescents in US emergency departments, 2007-2015. JAMA Pediatrics, 173(6), 598-600. doi:10.1001/jamapediatrics.2019.0464.
5- Ribeiro, J. D., Franklin, J. C., Fox, K. R., Bentley, K. H., Kleiman, E. M., Chang, B. P., et Nock, M. K. (2016). Selfinjurious thoughts and behaviors as risk factors for future suicide ideation, attempts, and death: a metaanalysis of longitudinal studies. Psychological medicine, 46(2), 225–236. doi: 10.1017/S0033291715001804
6- Maltais, N., (2020) Décrire, comprendre et schématiser le processus de l’évaluation du risque suicidaire
selon une perspective infirmière auprès des moins de 12 ans en santé mentale, Thèse, papyrus, Université de
Montréal.