Isolement-contention en psychiatrie, l’information du juge ne suffit pas !

N° 259 - Juin 2021
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Pour la seconde fois, le Conseil constitutionnel exige un contrôle systématique des mesures d’isolement et de contention par le juge des libertés et de la détention au-delà de certaines durées.

Bis repetita ! Le Conseil constitutionnel a censuré, pour la deuxième fois en moins d’un an, le dispositif prévu à l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, qui encadre les mesures d’isolement et de contention des malades psychiatriques admis sous un régime de soins sans consentement.

Ce texte, introduit par la « loi santé » du 26 janvier 2016 (1), a été censuré une première fois par le Conseil le 19 juin 2020 (2). S’il fixait certes les conditions dans lesquelles un psychiatre pouvait décider de recourir à l’isolement du patient ou lui appliquer une contention mécanique, il ne prévoyait pas, en revanche, de possibilité de contrôle à bref délai de telles mesures par un juge. Cette carence législative a été jugée contraire à l’article 66 de la Constitution, qui protège la liberté individuelle. Le législateur a donc été contraint de revoir sa copie. La loi de financement de la sécurité sociale du 14 décembre 2020 a ainsi tenté de réaliser un compromis entre le souci de protection de la liberté individuelle des malades, celui de ne pas entraver excessivement le quotidien des prises en charge psychiatriques et enfin celui de limiter la charge de travail de juges déjà en sous-effectif. Le texte prévoit en effet, non pas un contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention (JLD) des mesures d’isolement et de contention, mais seulement son information obligatoire. Cette information est exigée uniquement lorsque ces mesures sont prolongées au-delà de 48 heures pour l’isolement et 24 heures pour la contention, au terme d’un renouvellement exceptionnel, ainsi que le qualifie la loi. Contrairement à ce qui a lieu pour la mesure administrative d’admission, le contrôle des mesures d’isolement et de contention n’est pas systématique. Il n’intervient que si le juge, informé par le psychiatre, décide de s’autosaisir, ou s’il est saisi par le procureur de la République, par le patient lui-même ou par ses proches, également informés (3).

LE CONTRÔLE SYSTÉMATIQUE DU JLD

Une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (4). La question était de savoir si le dispositif légal adopté, en ce qu’il prévoit une simple information obligatoire et non un contrôle systématique du juge, était suffisant et satisfaisait aux exigences constitutionnelles. Par cette décision du 4 juin 2021 (5), le Conseil constitutionnel répond par la négative. Il rappelle notamment que « les mesures d’isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d’une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté » et constate qu’« aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution ». Une nouvelle fois, le législateur a jusqu’au 31 décembre de l’année pour réformer le contenu de l’article L. 3222-5-1 du CSP. On en déduit que, comme pour les admissions sans consentement, un contrôle systématique du JLD devra être prévu par la loi lorsque les mesures d’isolement et de contention seront renouvelées au-delà des durées maximales prévues par le texte.

UNE PORTÉE DISSUASIVE

Une telle réforme risque d’alourdir considérablement la charge du juge judiciaire… et celle des professionnels du secteur psychiatrique ! Le risque est que ce contrôle imposé devienne routinier et essentiellement formel et procédural. On peut en effet douter que le juge s’autorise à aller contre l’opinion du psychiatre ayant mis en œuvre la mesure, si la décision médicale est, en apparence, suffisamment motivée. Il est vrai que le juge « peut solliciter l’avis d’un autre psychiatre que celui à l’origine de la mesure » (5) et pourrait donc s’appuyer sur un avis contraire pour exiger une mainlevée de l’isolement ou de la contention. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser que l’intérêt du dispositif serait d’abord lié à sa portée dissuasive. Un contrôle judiciaire systématique sérieux des mesures d’isolement et de contention est, de facto, difficilement praticable. Il s’agit donc davantage d’inviter les psychiatres et les soignants à rechercher, autant que possible et compte tenu des moyens du bord, des alternatives à ces formes de contrainte… et ainsi réduire au maximum les hypothèses d’intervention du juge. Rappelons-le, à la lecture de l’article L. 3222-5-1, l’isolement et la contention ne doivent être envisagés que de manière exceptionnelle, en « dernier recours (…) pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui (…) et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ». La présence de la loi et du juge est d’abord là pour rappeler aux acteurs de terrains que ces mesures, même lorsqu’elles répondent à une justification thérapeutique, constituent des atteintes graves aux libertés des malades.

Paul Véron
Maître de conférences en droit privé, Université de Nantes,
Laboratoire droit et changement social

1– Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
2– Cons. const., déc. QPC n° 2020-844 du 19 juin 2020.
3– Lire le dernier Droit en pratique, Santé mentale, n° 258, mai 2021.
4– Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, FS-P, n° 21-40.001.
5– Décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021.
6– CSP, art. R. 3211-38.

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