Planning du confinement

N° 248 - Mai 2020
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Durant le confinement, difficile pour les familles de gérer les jeunes patients au domicile… Les soignants proposent à certains un suivi quotidien basé sur un emploi du temps très structuré.

J’ai déjà évoqué Tao dans ces colonnes (1). Ce jeune patient de 18 ans, qui souffre d’autisme, fréquente l’hôpital de jour (HDJ) depuis trois ans. Cela fait plus d’un an qu’il traverse une crise d’adolescence tumultueuse et ses parents, qui se sont longtemps montrés très soutenants avec lui, sont aujourd’hui dépassés par son agitation et ses manifestations agressives. Sa mère, qui l’a beaucoup protégé dans son enfance, a peur de lui. Son père, cuisinier, a arrêté de travailler pour « protéger sa famille ». Il se trouve de ce fait en difficultés financières et peine à instaurer une nouvelle relation avec son fils. Les parents sont très inquiets pour la petite sœur de Tao, collégienne. Celle-ci s’enferme dans sa chambre pour se dégager d’un frère qui occupe toute la place dans l’espace familial.
En attendant une éventuelle admission de Tao en foyer, la famille souffre d’une grande détresse, habituellement soulagée par la prise en charge quotidienne de leur fils à l’HDJ. Aussi, mi-mars, lorsque le confinement est imposé et l’hôpital fermé, toute l’équipe se mobilise pour mettre en place une aide adaptée. 

Rythmer les journées

Afin de rythmer les journées, nous proposons à certains patients un emploi du temps à suivre à la maison, appuyé sur les principes de soins de l’hôpital pour rester au plus près de la clinique. Il s’agit de prévoir un planning journalier écrit, comprenant des activités courtes qui tiennent compte des difficultés de concentration de ces jeunes patients, des temps calmes et des moments de pédagogie, en lien avec la scolarité. Nous intégrons aussi les liens avec les soignants, en signalant les entretiens téléphoniques comme des temps de soin.
– L’emploi du temps de Tao, construit avec lui et ses référents, commence par le réveil à 9 heures, le petit-déjeuner, puis de petites activités proposées par les soignants comme des jeux sur Pepit, un logiciel que nous utilisons avec lui au groupe informatique, ou bien du coloriage.
– La journée se poursuit avec la préparation du repas. Tao aime cuisiner et peut effectuer plusieurs tâches répétitives de manière autonome. Il aide ainsi par exemple sa mère à éplucher des légumes. Le déjeuner réunit la famille.
– Ensuite est prévu un temps calme, seul sur le balcon de l’appartement. Ce moment est calqué sur celui de l’HDJ où, dans la cour, Tao reste un peu à l’écart. Il aime observer les jeunes et les soignants, semblant profiter de la présence des autres, tout en prenant du recul pour ne pas se laisser envahir par leur excitation. De même, sur le balcon, il voit sa famille tout en restant extérieur.
– L’après-midi commence par une sortie avec son père. Après l’autorisation pour les patients souffrant de troubles psychiques de sortir sans limitation de durée, Tao et son père se promènent durant 2 heures, ce qui leur fait du bien à tous les deux et constitue pour tous un espace de respiration non négligeable.
– Après cette sortie, nouveau temps calme, dans sa chambre cette fois. Tao peut soit écouter de la musique sur Youtube, soit danser en utilisant les vidéos du groupe « danse » auquel il participe habituellement à l’HDJ, soit regarder des émissions de cuisine sur Internet.
– La journée se termine par le repas, la prise du traitement et la douche, avant le coucher vers 21h30.
– Figure également sur cet emploi du temps l’heure de l’appel quotidien programmé avec le soignant de permanence. Celui-ci recueille les difficultés de la famille au fil des activités.

Pour supporter l’angoisse

Un peu artificiel, cet emploi du temps très structuré aide Tao à supporter son angoisse, en maîtrisant de manière presque obsessionnelle ce temps confiné. Dans une approche toute « winnicottienne », il s’agit aussi de penser la séparation. La plupart des activités sont en effet envisagées pour être pratiquées seul mais en présence de l’autre. Pour un patient angoissé comme Tao, fusionnel dans sa relation à autrui, elles peuvent insérer un « tiers », lui permettant petit à petit de se penser comme un individu propre, séparé de l’autre, avec une subjectivité.
Nous avions beaucoup d’appréhension pour Tao, mais, durant tout le mois d’avril, il n’y a eu ni crise, ni hospitalisation. Cet accompagnement soignant quotidien et intensif a soutenu cette famille. Par ailleurs, chacun a sans doute trouvé en lui des ressources insoupçonnées… et porté un nouveau regard sur autrui.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e

1– Voir n° 234, janvier 2019, et n° 240, septembre 2019.