Je reste à la maison…

N° 247 - Avril 2020
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Alors que l'hôpital de jour est fermé pour cause de covid-19, comment les patients vivent-ils le confinement ? Comment maintenir le lien avec des ados si vulnérables ?

Tout a commencé par des « elbow bump » ou des « foot check » (salutations en se tapant le coude ou le pied), une semaine avant la fermeture de l’hôpital de jour (HDJ). Les journaux parlaient déjà beaucoup du coronavirus mais pas seulement…

« Je te reconnais… »

Quand on travaille avec de jeunes autistes, les mesures de distanciation sociale sont très difficiles à appliquer. Ainsi, chaque matin, à l’arrivée d’un soignant dans l’hôpital, il n’est pas rare de voir une petite grappe de jeunes se précipiter vers lui pour lui serrer vigoureusement la main. Bien plus qu’un acte de civilité, il s’agit pour ces adolescents de s’assurer de notre présence mais aussi de nous affirmer physiquement la leur. Jean, 12 ans, qui présente une écholalie et une échopraxie, a, lui, besoin de serrer la main des soignants plusieurs fois par jour, en répétant leurs prénoms et en les touchant comme pour s’assurer de leur matérialité et de leur permanence. David, un jeune très régressé sans langage, attrape ma main à table pour prendre mon morceau de pain. La main du soignant est sans doute pour lui comme un prolongement de son propre corps pas totalement défini dans l’espace. Comment faire comprendre et accepter à ces patients ces nouvelles règlesde confinement ?
… À ce stade, nous avons pu compter sur un petit groupe d’adolescents branchés sur les réseaux sociaux. Assa, Moussa, Brahim, Mohammed…, ceux-là aiment nous surprendre en nous apprenant les nouveaux codes en vigueur chez les jeunes. Grâce à eux, de nouvelles formes de salutations ont rapidement été adoptées.
Rappelant un rituel d’appartenance des gangs américains, le « check » sert tout autant à se dire bonjour qu’à délimiter un espace psychique sécurisé dans son environnement proche. Saluer quelqu’un ne signifie pas seulement lui souhaiter une bonne journée. C’est un acte symbolique pour lui dire : « Je te reconnais, tu fais partie de mes connaissances, tu n’es pas un individu transparent. » C’est certainement valable dans notre vie courante mais ça l’est encore plus avec ces jeunes qui souffrent d’une grave pathologie du lien.
Et puis, vendredi 13 mars, l’annonce de la fermeture des établissements scolaires tombe. Dès le lundi suivant, le confinement sera la règle. L’unité d’enseignement de l’HDJ ferme, les activités sont suspendues, avec maintien d’une permanence des soins téléphoniques pour le département enfant. Un seul soignant de l’HDJ en rotation reste présent pour prendre les appels téléphoniques des parents et rassurer les patients. Comment dans ces conditions ne pas « disparaître » dans la tête des jeunes et des familles? Si nous savons que ce confinement prendra fin un jour, cette pensée (relativement) rassurante ne leur est pas familière.

Vers l’après-confinement

Depuis, nous accompagnons les jeunes via des contacts téléphoniques réguliers, hebdomadaires, passés par différents soignants de l’institution. Certains échanges nous permettent d’appréhender le sentiment de dérive de certains jeunes (voire de leur famille parfois), sur qui le temps a l’air de glisser… Ils ne savent pas quel jour nous sommes, et ne se projettent pas dans l’après-confinement. Nous avons mis en place pour certains un emploi du temps journalier pour structurer le quotidien.
Assa, une jeune fille de 19 ans qui souffre d’autisme avec un syndrome de l’X fragile (1) vit dans un appartement exigu avec ses nombreux frères et sœurs. Leur mère, analphabète et déprimée, ne semble pas mesurer l’étendue des troubles psychiques et des angoisses de sa fille. Avec son médecin et son référent, nous avons proposé à la jeune fille un emploi du temps très simple, appuyé sur ses habitudes, et qui prévoit des plages plus structurées avec des appels réguliers et programmés de soignants et des activités inspirées de celles qu’elle pratique à l’HDJ (heure du lever, douche, déjeuner, rangement, devoirs envoyés par l’enseignante, coloriage et préparation de repas). Ce rythme lui permet de se représenter la durée mais aussi l’espace et de continuer à différencier les lieux (en dedans = maison/en dehors = HDJ).
L’avenir nous dira si ce dispositif a permis de nous maintenir comme un espace tiers pour les patients. Mais tout est allé si vite! Je me demande souvent comment ce sera, de reprendre chaque matin le chemin de HDJ, et comment nous allons nous « retrouver »…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Voir aussi les n° 242, 237 et 235 de la revue