Une relation symbiotique

N° 249 - Juin 2020
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A 22 ans, Madison, qui souffre de psychose infantile, reste très fusionnelle avec sa mère. Celle-ci lui impose à nouveau de « suivre ensemble » un régime. Comment intervenir ?

Madison, 22 ans, est une jeune patiente de l’hôpital de jour (HDJ) qui souffre de psychose infantile. Elle vit seule avec sa mère, qui tient un salon de coiffure (« Madison Coiff’ »). Sans être très pratiquante, la famille est juive.
Au sortir de l’adolescence, malgré sa maladie, Madison a fait de réels progrès d’autonomie. Même si elle ne sait ni lire, ni écrire, elle compense ses difficultés par des stratégies de mémorisation assez époustouflantes et des capacités d’empathies plutôt supérieures à la moyenne des jeunes de l’HDJ.
Sa maman l’a longtemps choyée comme une poupée, et en grandissant, Madison semble osciller entre son désir de ressembler à cette mère toute-puissante qu’elle adore et son envie de rejet, pour parvenir à se séparer d’elle.

Un nouveau régime « ensemble »

Très régulièrement, la mère et la fille, qui sont en léger surpoids, commencent « ensemble » un nouveau régime dont les modalités nous laissent perplexes. De fait, ce matin, Madison arrive pour la sortie nature avec un pique-nique, alors que celui-ci est habituellement fourni par l’hôpital. Venue me voir dans l’infirmerie, elle me montre une petite boîte contenant huit tomates cerises, deux carottes, un yaourt nature à 0 % et une pomme.
Je joins immédiatement sa mère pour l’informer que Madison aura comme tous les patients un sandwich au poulet, car son en-cas frugal me semble insuffisant pour une longue marche en forêt. Elle me répond, tranchante :
« Un sandwich au poulet, ce n’est pas possible car Madison ne mange que de la viande casher.
– Ah bon? Ici, elle a toujours mangé de la viande avec les autres patients, elle a juste un régime sans porc.
– C’est parce qu’elle n’a pas compris, me rétorque la mère. Nous ne mangeons que de la viande casher, ou alors du poisson. »
Je la rassure en lui indiquant que je vais commander un sandwich au thon pour la prochaine sortie, et que pour aujourd’hui, nous allons retirer le poulet.
« Et c’est nouveau, ce régime? demandai-je naïvement à la mère.
– Oui, vous avez vu comme elle a grossi, elle a pris au moins 7 kg, je ne peux pas la laisser continuer à gonfler comme ça, elle va finir par ressembler à une grosse baleine! »
J’apprends alors que durant le confinement, Madison, totalement désorientée, se levait la nuit pour manger. Depuis que sa mère la met au régime en réduisant les quantités, elle compense sa faim en grignotant. Si elle ouvre un paquet de gâteaux pour en prendre un, elle le finit, sans avoir conscience de la quantité qu’elle vient d’engloutir. Madison se remplit et gonfle, peut être dans une lutte contre sa mère?

Une posture délicate

Comme c’est Madison qui est venue me voir et que ce régime semble la tracasser, je lui propose de la peser. Elle a pris 7 kg en 6 mois et 6 cm de tour de taille.
« C’est beaucoup? m’interroge-t-elle.
– Ça dépend, tu te sens comment dans tes vêtements, ça serre plus que d’habitude?
– Oui, fait-elle avec une moue, et mon ventre il est petit, euh gros, enfin, je ne sais pas. »
Madison a du mal à regarder objectivement son propre corps et celui des autres. Elle est par exemple persuadée d’être plus grande que moi alors que je la dépasse d’au moins 15 cm ! 
« Peut-être que c’était difficile d’être toute la journée à la maison avec ta mère durant le confinement, je sais que tu avais très peur de sortir. Ta mère aussi devait être triste de ne pas pouvoir travailler au salon de coiffure.
– Oui, je m’ennuyais beaucoup, me raconte-t-elle, alors je restais dans ma chambre et j’aimais bien manger des choses sucrées pour ne pas pleurer.
– Tu avais envie de pleurer, c’est ça? »
Elle hausse les épaules.
« Peut-être que ce serait bien qu’on reparle avec ta mère et ton médecin de cette histoire de régime, non? Moi je pense que tu as surtout besoin de sortir à nouveau, faire du sport et manger normalement pour retrouver tranquillement ton poids… »
Il est extrêmement délicat d’intervenir dans une relation symbiotique comme celle de Madison et sa mère. Je voudrais simplement montrer à cette maman que sa fille a sans doute davantage besoin d’un accompagnement corporel et psychique, apportant un mieux-être global, que d’un régime draconien… Rester à sa place de soignant et tenir ses objectifs est parfois un exercice difficile!

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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