Selma, psychotique, réfugiée…

N° 225 - Février 2018
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Jeune Syrienne fuyant la guerre avec sa famille, Selma souffre de psychose. À l’hôpital de jour, elle paraît s’adapter à son nouvel environnement, mais son équilibre reste fragile.

Depuis deux ans, nous accueillons Selma à l’hôpital de jour. Cette jeune fille syrienne de 18 ans, qui souffre de psychose, est arrivée à Paris avec ses parents et son frère, pour fuir la guerre. La famille vivait à Alep, dans une grande maison, où Selma passait alors la journée avec sa mère et ses deux frères. Au début du conflit, le père a été emprisonné et torturé pour avoir caché des rebelles. Puis le fils aîné a été tué lors de son service militaire.
À son arrivée en France, Selma ne parle pas un mot de français. Sa famille est d’abord hébergée chez des amis puis trouve un toit. Souffrant de dépression, le père consulte un psychiatre au Centre médico-psychologique et évoque les difficultés de sa fille. Il la présente comme une adolescente intelligente, ayant fréquenté l’école, plutôt calme et tranquille mais de plus en plus agressive avec lui, l’accusant d’avoir tué son frère et tentant parfois de le frapper. Selma parle toute seule et tient des propos incohérents qui inquiètent beaucoup sa mère. Il ajoute un peu honteux que sa fille ne supporte pas de rester seule la nuit et dort depuis longtemps avec sa mère.

Fragile équilibre…

 Quand nous rencontrons Selma pour la première fois, nous sommes frappés par le tableau déficitaire de cette jeune fille qui n’a jamais fréquenté une institution de soin dans son pays. Elle déambule, souriante, en soliloquant, se griffe le visage, et peut souffrir d’encoprésie (incontinence fécale).
Selma accepte de prendre un traitement neuroleptique, « pour dormir ». Son état s’améliore, même si elle partage toujours le lit de sa mère. Elle s’épanouit, fréquente une classe de primo-arrivants, apprend le français… Nous la voyons relever ses cheveux et s’intéresser aux autres jeunes de l’hôpital de jour. Selma participe à plusieurs groupes thérapeutiques dans lesquels elle s’exprime et mûrit.
Un an plus tard, le père, toujours au chômage, accepte un emploi dans le nord de la France, ce qui l’oblige parfois à s’absenter un mois entier. La mère, qui a demandé le divorce, travaille dans un restaurant et rentre tard le soir, laissant Selma livrée à elle-même.
Nous assistons alors à une dégradation vertigineuse et spectaculaire de son état de santé. La jeune fille arrête son traitement médicamenteux, ne se lave plus et se souille de plus en plus fréquemment. Elle frappe sa mère à la moindre contrariété et dégrade l’appartement en urinant et déféquant par terre, ou en jetant de la nourriture dans son lit. Avec les soignants, Selma se montre insolente. Elle arrive très souvent en retard, affichant un air de défi.
Le médecin instaure une prise de traitement devant les soignants. Son agressivité diminue mais la tristesse s’installe. Elle s’effondre régulièrement en larmes, évoquant sa peur de perdre toute sa famille. Petit à petit, elle investit l’équipe de façon massive et s’accroche aux soignants comme un nourrisson.
Un lundi, Selma arrive avec deux heures de retard, les cheveux trempés et dégoulinants sur son jogging mouillé. Pendant que je cherche dans le vestiaire des vêtements secs à sa taille, j’entends des jeunes se moquer d’elle : « Selma, elle pue… »
Je rassemble rapidement des affaires de toilettes et ordonne à l’adolescente de me suivre à la douche, ce qu’elle fait docilement. Pudique, elle se glisse sous l’eau chaude, me montrant son dos. Je commence à laver ses longs cheveux. Je lui frotte le dos avec un gant puis le lui tends pour qu’elle continue. Égarée, elle le passe rapidement sur sa poitrine et s’arrête, perdue. C’est comme si le bas de son corps n’existait pas. Un peu honteuse, se cachant le visage, elle s’abandonne entièrement à mes gestes. Lorsque j’ai fini, elle reste longuement sous l’eau chaude, se sèche puis s’habille rapidement en soufflant plusieurs fois : « Merci. »
Soulagée de la voir propre, je m’inquiète néanmoins de la voir déambuler, le regard vide et perdu.

Un cocon de honte

L’histoire de Selma est celle d’une enfant psychotique arrachée à son milieu sécurisant, qui fait l’expérience de la guerre et de la perte. La perte la plus douloureuse semble être celle de sa mère, qui se transforme en une femme jolie et séduisante, qui veut sortir de chez elle, travailler, vivre. À l’inverse, Selma devient laide, sale, se souille, rentre à l’intérieur d’elle-même, comme dans un cocon. Quand elle accepte, malgré sa honte, de se débarrasser de cette carapace qui l’isole du monde et de sa douleur, c’est déjà un petit pas vers la construction d’un moi plus fort…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .