Les limites de l’institution…

N° 224 - Janvier 2018
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David, 15 ans, est un patient autiste très déficitaire, qui épuise les soignants par ses comportements bruyants et envahissants. A-t-il vraiment sa place à l’hôpital de jour ?

David, 15 ans, arrive à l’hôpital de jour (HDJ) un lundi de décembre, inaugurant une semaine particulièrement éprouvante pour l’équipe soignante. Il est accompagné par un éducateur de la structure pour enfants autistes qui l’accueillait jusque-là dans la journée. Pendant que nous échangeons avec ce dernier, David, vêtu d’une doudoune et d’un bonnet bleu, bondit à pieds joints au milieu des autres adolescents, le regard lointain, en chantonnant des syllabes dénuées de sens.
Ce jeune garçon est un patient autiste très déficitaire, qui n’a accès ni au langage ni à la relation avec autrui. Très isolé, toujours dans la sensation, comme un nourrisson, il alterne des comportements d’excitation et d’angoisse, qui se traduisent par des sauts, des cris, et parfois des automutilations.

Dégoût et lassitude…

Ce premier jour, au bout de quelques minutes, David enlève ses chaussures et ses chaussettes et s’allonge à plat ventre en se frottant sur le sol dans un mouvement de masturbation. Ses mains agrippent tout ce qui passe à leur portée. Plus tard, à table, David attrape sa nourriture à pleine main, triture son fromage pour en faire de minuscules morceaux qui finissent collés sur son visage et ses cheveux. Comme un tout-petit, il a besoin qu’on l’accompagne pour se laver les mains, qu’on lui remonte son jogging et qu’on l’essuie au sortir des toilettes…
Rapidement, David devient de plus en plus envahissant et même « dégoûtant ». Je redoute de manger près de lui, de peur qu’il ne me salisse. À la fin de la semaine, il se met à jouer avec ses selles. Chaque matin, il arrive avec une tenue propre puis s’enferme dans les toilettes et le temps que nous intervenions pour l’aider, il a déjà le pantalon maculé et barbouille d’excréments les murs et la cuvette. Avec ma collègue, nous arrivons en tenue de bloc (tablier, surchaussures, gants, masque) pour éviter de le sentir, le toucher, s’approcher. Il faut le tenir pour lui ôter ses vêtements, l’empêcher de jouer avec l’eau… En plus du dégoût, la lassitude s’installe. Outre cette « toilette » quotidienne, nous devons calmer David, qui pleure, hurle, se blesse. Il se donne de grandes claques sur les oreilles, se mord les mains et se cogne violemment la tête contre le mur. À chaque crise, nous sommes deux à le tenir. De grosses larmes tombent de ses yeux, son nez coule, il semble un corps en train de se vider de sa substance, que rien ne peut soulager. Au bout de d’une demi-heure, parfois d’une heure, les cris diminuent et David se remet à chantonner. Tout s’efface, comme si la crise n’avait pas existé.

Se protéger

L’équipe précédente et ses parents affirment pourtant que David est propre et capable d’aller aux toilettes seul. En réunion, le médecin fait l’hypothèse d’une angoisse massive chez cet adolescent, expliquant sa symptomatologie bruyante. Mais devant la fatigue des soignants, il allège l’emploi du temps de David.
Ce jeune est le patient autiste le plus régressé de l’hôpital de jour. Avant la fin de la procédure d’admission (qui dure deux semaines), l’équipe est divisée : certains considèrent que son niveau si faible ne permettra aucune progression; d’autres pensent que les choses vont s’arranger avec le temps. Comme beaucoup de mes collègues, j’interroge surtout la pertinence de sa place à l’HDJ. Je n’ai pas choisi de travailler avec des patients si régressés et j’ai peur de perdre ma patience avec lui. Il m’arrive de lui hurler de se tenir tranquille quand il saute, le pantalon souillé, à côté des toilettes. Il met alors ses mains sur ses oreilles pour se protéger de mon cri. Je n’ai pas envie de lui faire du mal mais je ne sais pas comment me protéger de son agressivité et le préserver de mon agacement.
David s’habitue malgré tout à son nouvel environnement. Nous apprenons à le connaître, à anticiper ses crises et à être plus présent avec lui quand il en a besoin. Il nous arrive encore de le rhabiller dans les toilettes mais David ne se souille plus. Il aime la musique et les percussions et se calme plus vite lorsqu’il entend les sons d’un instrument qui lui plaît. Il commence à participer à quelques groupes sur des temps très courts. Il montre parfois du plaisir au groupe danse et parvient à renvoyer un ballon en activité d’éveil corporel. Il commence aussi à manger plus proprement à table avec sa fourchette et son couteau. Nous nous apprivoisons donc mutuellement, pour construire avec David un espace où il pourra se sentir en sécurité et peut-être, évoluer avec nous dans une relation… de soin?

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e