« Je vais les frapper !… »

N° 229 - Juin 2018
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Kevin, un jeune patient psychotique de l’Hôpital de jour, s’est fait agresser par un petit groupe de pairs. Comment comprendre et prévenir cette violence ?

Un soir, à 16h30, à la sortie de l’Hôpital de jour (HDJ), un petit groupe de patients s’est donné rendez-vous pour agresser violemment l’un de leurs, Kevin, dans la rue, au vu de tous les passants.
Dès le début de l’attaque, Kevin s’est roulé en boule au sol essuyant coups de pied, insultes et brimades pendant plusieurs minutes avant de pouvoir se relever. Le lendemain, un patient qui a assisté à la scène a eu le courage d’aller voir le cadre de l’HDJ pour lui en parler.
Kevin, 15 ans, que nous accueillons depuis un an, souffre de psychose. Il délire autour de son corps, agresse sans cesse les autres par des provocations sexuelles et attire leurs moqueries. Après une « accalmie » suite à la découverte d’un diabète (1), Kevin a repris ses conduites : il touche les fesses des patientes ou des soignantes, se frotte le sexe ou profère des obscénités, voire des menaces de mort contre la cadre de santé. Il devient petit à petit le bouc émissaire des adolescents du service. Certains « le cherchent » et l’excitent toujours davantage pour observer ensuite, non sans une certaine perversité, ses débordements. C’est ainsi que Kevin incarne le mal absolu, celui qu’il faut détruire, le fou dangereux, différent des autres, qui n’aurait donc rien à faire à l’hôpital de jour.

Des agressions au quotidien…

À travers le récit décousu de Kevin et de quelques jeunes, nous identifions facilement les quatre agresseurs. Les médecins les reçoivent individuellement et une exclusion est prononcée contre l’auteur principal des coups. Par ailleurs, nous décidons d’organiser une réunion exceptionnelle avec tous les jeunes pour évoquer la violence. Un mercredi, avant le repas, les groupes sont interrompus, et nous plaçons les chaises en cercle dans la grande salle autour d’un échange ouvert, animé par le médecin responsable de la structure. Sans pointer le cas de Kevin, il nous semble important d’aborder ce sujet, dont les jeunes s’emparent assez vite.
Soloman, 15 ans, témoigne s’être fait harceler au téléphone par un ami. Il a reçu des textos insultants qui l’ont beaucoup touché. « Alors j’étais triste et j’ai pleuré », lâche-t-il, les yeux rivés sur ses chaussures. La parole se délie. Chacun se souvient d’un moment où il a été humilié. Des adolescentes témoignent d’attouchements, par des personnes connues ou non, sans qu’elles aient pu réagir.
Ainsi, Assa, 17 ans, lance très vite quelques mots, avant de se refermer sur elle-même. Elle dit qu’elle a peur de Mounir, qui la brutalise parfois et menace de la frapper si elle se plaint aux soignants. Mounir, 14 ans, est un patient psychotique issu d’une famille séparée dans un contexte de violences conjugales. Frappé par son père et ayant déjà agressé physiquement sa mère et sa sœur, il vit les comportements de Kevin avec beaucoup d’angoisse. Quelques années auparavant, Mounir a agressé un patient très efféminé qui lui répétait qu’il était «joli». Mounir est absent à la réunion mais son ombre plane sur le groupe.
Un peu à l’écart, soutenu par son éducateur référent, Kevin a du mal à ne pas intervenir pour menacer ses attaquants. « Je vais les frapper, je vais leur donner des coups de pied, je vais les mettre par terre », murmure-t-il, confus et désorganisé.

Comment protéger le groupe ?

Le médecin reprend alors les mots de chacun, reformule les questions puis tente d’évoquer la violence, non pas celle subie, mais la nôtre. Le silence se fait. Nerveux, Jonas, qui s’est laissé entraîner dans l’attaque de Kevin sans forcément mesurer la gravité de ses actes, parle fort. Ce n’est pas sa faute s’il a frappé, un copain lui a dit que Kevin aurait insulté sa mère. « Ça ne se fait pas d’insulter la mère ou la sœur de quelqu’un, il ne faut pas s’étonner après si on se fait frapper.
– Un copain t’a dit, reprend un soignant, comment peux-tu être sûr si tu n’as pas entendu l’autre dire des insultes? » Nous terminons la réunion avec beaucoup d’interrogations et peu de réponses. Des doutes aussi sur notre fonction soignante, sur le lien de confiance établi avec ces jeunes agresseurs. Comment se fait-il qu’aucun d’eux, que nous connaissons parfois depuis des années, n’a pu appeler un soignant au secours avant de se déchaîner en groupe contre un bouc émissaire? Comment protéger le groupe des attaques incessantes de Kevin ? Et comment le protéger, lui ?
Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, soignants et soignés, pour comprendre cette violence qui nous a surpris et que nous souhaitons mieux prévenir.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Voir La vie qui bascule, Santé mentale n° 223

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N° 227 Soins psychiatriques aux personnes détenues

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