Le certificat médical, entre secret médical et informations utiles

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Une décision récente de la Cour de cassation vient préciser les rôles spécifiques et les responsabilités du juge et du psychiatre en matière de soins sous contrainte.

Fin mai 2015, la Cour de cassation a rendu une décision importante (C. Cass, 28 mai 2015, n° 14-15686), qui permet de clarifier la répartition des rôles entre les psychiatres et les autorités administratives à l’origine d’une décision plaçant ou maintenant un patient sous contrainte. Pour pouvoir prendre ce type de mesure, le préfet (Soin à la demande d’un représentant de l’Etat [SDRE]) ou le directeur de l’établissement (Soins à la demande d’un tiers, en urgence ou non [SDT ou SDTU] ou en situation de péril imminent) sont dans l’obligation de motiver avec précision les éléments de droit et de fait qui rendent la mesure indispensable.

Une expertise d'ordre médicale

Hospitalisé sous contrainte depuis 2006 après avoir tué sa mère, un patient, déclaré pénalement irresponsable (art. L. 706-135 du Code de procédure pénale), contestait le fait que le psychiatre ne prenne pas la peine d’expliquer précisément dans les certificats adressés à la préfecture en quoi son comportement actuel constituait toujours une menace pour l’ordre public. Il a donc formé un recours contre la décision de prolongation de six mois de son hospitalisation prononcée en janvier 2014 par l’autorité de police. La principale question posée par cette affaire était donc de savoir quel rôle le législateur attribuait aux psychiatres. La Cour de cassation fait une lecture très précise du texte de la loi et place chacun des acteurs face à leurs responsabilités.

Le préfet est le seul à pouvoir prolonger une mesure de contrainte à l’égard d’un individu dont le comportement est encore susceptible de troubler gravement l’ordre public malgré la prise en charge hospitalière. Pour ce faire, le représentant de l’État a besoin d’une forme d’« expertise médicale » lui confirmant que l’état de santé du patient n’a pas encore suffisamment évolué. Afin de respecter les libertés individuelles du patient, la loi impose de lui transmettre régulièrement un document écrit attestant qu’un psychiatre de l’établissement a bien rencontré le patient et que l’état de santé de ce dernier ne permet pas de prononcer une mesure moins contraignante (programme de soins ou levée). Un certificat ambigu, mal rédigé, tardif ou précoce empêcherait le préfet de prolonger la mesure.
• Cependant, le psychiatre n’a pas à se substituer au préfet en qualifiant juridiquement la situation. Son certificat n’est qu’un élément du dossier administratif de la personne sous contrainte. Cette pièce est obligatoire, mais le préfet est également censé prendre en considération des informations extrahospitalières en sa qualité d’autorité de police administrative spéciale.

La Cour de cassation précise que « que les articles L. 3213-1, L. 3213-3 et R. 3213-3 du code de la santé publique n’exigent pas la mention, dans le certificat médical circonstancié qu’ils prévoient, que les troubles nécessitant des soins “compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public”, une telle qualification relevant, sous le contrôle du juge, des seuls pouvoirs du préfet, sauf à prévoir, lorsqu’un certificat conclut à la nécessité de lever une mesure d’hospitalisation complète, les incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes ; qu’après avoir relevé que le certificat du médecin précisait que M. X… présentait des processus délirants sur un mode persécutif projectif centré sur les soignants et contestait l’efficacité de son traitement, de sorte que la mesure de soins psychiatriques sans consentement à la demande du représentant de l’État demeurait justifiée et devait être maintenue, le premier président a retenu, à bon droit, que ce certificat répondait aux exigences des textes précités ». 

Un savant dosage

Par conséquent, les divers certificats remis à une autorité administrative doivent lui permettre de prendre une décision nécessaire, adaptée et proportionnée. Il n’est donc pas indispensable de lever « complètement » le secret médical (celui-ci reste théoriquement toujours soumis au droit commun), mais il convient de transmettre une information compréhensible et directement utilisable.
Pour la Cour de cassation, comme pour le législateur, les écrits demandés aux psychiatres ont pour principale fonction de permettre de prononcer la décision individuelle la plus adaptée possible. Le préfet, comme le directeur d’ailleurs, n’est pas un spécialiste de la psychiatrie. Il a donc besoin d’un avis circonstancié lui exposant les principales caractéristiques de l’état du patient. De son côté, le psychiatre n’est pas un spécialiste de l’ordre public, c’est donc au préfet qu’il revient de qualifier juridiquement la mesure et d’estimer si la menace à l’ordre public persiste.
Pour respecter l’esprit de la loi, le psychiatre, rédigeant un certificat, ne doit transmettre que les informations utiles à son interlocuteur. Ni plus ni moins. C’est ce savant dosage qu’il faut parvenir à réaliser en sélectionnant des termes intelligibles par un non-soignant.

Éric Péchillon, Maître de conférences, Université de Rennes 1