À l’hôpital, peut-on refuser un droit de visite à un proche ?

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Pour être légal, un refus de visite à un patient hospitalisé doit être motivé et correspondre aux finalités de l’action poursuivie : raison médicale, intérêt du service ou ordre public. La décision doit également respecter des règles de forme et être strictement adaptée aux circonstances.

Le 26 juin 2015, le Conseil d’État s’est prononcé sur une question de répartition des compétences entre les différentes juridictions lorsqu’un visiteur souhaite contester une décision lui refusant l’accès à un service de soins, le privant ainsi de la possibilité de s’entretenir avec un proche. Ce type de recours oblige les soignants à clairement identifier les situations juridiques découlant d’une mesure individuelle. Les faits sont relativement banals. Ce qui l’est un peu moins est la volonté du proche d’un patient de tirer toutes les conséquences contentieuses d’un refus de visite.

Le 28 mai 2010, un patient hospitalisé depuis 2008 commet un acte violent vis-à-vis d’un membre du personnel de l’établissement. Le préfet de Gironde prend alors un arrêté d’hospitalisation sous contrainte fondé sur l’ordre public à son encontre. Juste après cette décision de police administrative, le père du patient se voit, à deux reprises (le 28 mai et le 1er juin), « verbalement signifier qu’il n’était pas autorisé à rendre visite » à son fils. Estimant cette interdiction illégale, il engage une procédure contentieuse devant le juge administratif (1). Par ce recours pour excès de pouvoir, il entend faire reconnaître les droits des proches de personnes hospitalisées dans les services de psychiatrie. S’il était parvenu à faire déclarer illégal un tel refus, il aurait pu, dans un second temps, s’engager sur le terrain de la responsabilité afin d’obtenir l’indemnisation d’éventuels préjudices subis. Les problèmes de droit posés par cette affaire étaient relativement nombreux. Il s’agissait tout d’abord de savoir si un refus de visite pouvait être considéré comme un acte administratif unilatéral susceptible d’un recours contentieux ou si, compte tenu de sa « faible importance », il devait être qualifié de simple « mesure d’ordre intérieur », à savoir de décision infrajuridique dont le juge n’aurait pas à connaître (2). Ensuite, il convenait de déterminer quel juge devait être saisi pour en contrôler la légalité (3). Enfin, il fallait préciser les degrés du contrôle juridictionnel (4).

Vérifier la légalité des interdictions

Pour qualifier juridiquement le refus de visite, le Conseil d’État procède de la même manière que pour les autres services publics accueillant des usagers à temps complet (volontaires ou non). Selon lui, un tel refus doit être considéré comme un acte décisoire car il « modifie l’ordonnancement juridique et fait grief ». Concrètement, cela signifie que la décision du psychiatre produit des effets juridiques puisqu’elle empêche un père de voir son enfant. Sur ce point, il existe une jurisprudence relativement abondante en matière pénitentiaire permettant aux proches de personnes incarcérées (usagers contraints du service public pénitentiaire) de contester la légalité externe (5) et interne (6) d’une décision administrative refusant l’accès aux parloirs. En matière hospitalière, un tel refus peut résulter de plusieurs situations :
– Cela peut être, comme dans cette affaire, la conséquence de la décision d’un psychiatre qui, pour des raisons strictement médicales, considère que l’état de santé du patient empêche provisoirement les visites. Cette décision entraîne des effets juridiques pour le patient et ses proches.
– Cela peut également faire suite à une décision individuelle du directeur de l’établissement de santé, qui, en sa qualité de chef de service, décide de ne pas autoriser une personne extérieure au service à rendre visite à un patient particulier. Dans ce cas, le directeur doit motiver sa décision en s’appuyant sur son pouvoir de police interne lui permettant de prendre toutes les décisions indispensables au bon fonctionnement de l’institution qu’il dirige.
– Le troisième cas de figue peut se rencontrer lorsqu’un visiteur se présente en dehors des horaires prévus par le règlement intérieur de l’établissement et qu’à ce titre il n’est pas autorisé à entrer dans les services.
Dans les trois cas, il est possible de demander au juge de vérifier la légalité de l’interdiction.

Des compétences des juges

En ce qui concerne la juridiction compétente pour contrôler la légalité de l’acte, la spécificité du statut « d’usager contraint » privé temporairement de sa liberté d’aller et de venir était problématique. Les juges du fond (7) considéraient qu’il appartenait au seul juge judiciaire de trancher ce litige, conséquence directe de la décision d’hospitalisation. Fort logiquement, le Conseil d’État n’a pas la même interprétation et décide que, s’il appartient effectivement au Juge des libertés et de la détention (JLD) de contrôler la légalité d’une hospitalisation complète sous contrainte, ce dernier n’a pas vocation à examiner toutes les décisions individuelles concernant les patients et leurs proches. Selon lui, « la décision par laquelle un établissement public de santé refuse à un tiers le droit de rendre visite à une personne hospitalisée sans son consentement a le caractère d’une mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle [d’aller et d venir] ». Le juge administratif reste donc le seul compétent pour contrôler la légalité des décisions visant les usagers du service et leurs proches. En effet, il ne s’agissait pas de vérifier la légalité de l’hospitalisation mais d’examiner une décision en lien avec le fonctionnement du service. Il n’y a donc pas lieu de distinguer en fonction du statut du patient en soins libres ou en soins sous contrainte. En définitive, le juge administratif peut être saisi par toute personne qui estime que la décision prise par une autorité administrative ne respecte pas le droit en vigueur. Une fois l’acte qualifié et la juridiction désignée, le magistrat doit tirer concrètement les conséquences contentieuses. Pour être légal, un refus de visite doit être motivé et correspondre aux finalités de l’action poursuivie (raisons médicales si décision du psychiatre, intérêt du service ou ordre public si refus prononcé par le directeur). La décision doit également respecter des règles de forme et être strictement adaptée aux circonstances. Le contrôle du juge sert alors à vérifier que l’autorité décisionnaire n’a pas abusé du pouvoir discrétionnaire (8) accordé par le législateur.

Clarifier les règles

Les conséquences au quotidien de cette décision du Conseil d’État seront nombreuses. En effet, comme cela a pu être le cas à l’école, en prison et à l’armée, l’élargissement du contrôle du juge va obliger chaque établissement à s’organiser afin de clairement définir les droits et les devoirs de chaque personne pénétrant dans un service (patients, visiteurs, personnels…). Un travail de clarification des règles organisant les visites aux patients devra ainsi être réalisé dans chaque établissement. Ce travail normatif permettra à terme d’améliorer la prise en charge des patients et de définir précisément les missions de chaque agent. Souhaitons que l’ensemble des services anticipe le risque contentieux tout en développant des pratiques éthiques.

Éric Péchillon Maître de conférences Rennes 1

1– Ce père dépose simultanément un référé-liberté qui n’aboutit pas (CE 16 juin 2010, n° 340453) et un recours au fond sur la légalité du refus de visite.
2– Un juge ne peut contrôler que les actes qui ont des effets juridiques. Son rôle n’est pas de contrôler l’opportunité d’un choix mais sa légalité.
3– Il existe en France deux ordres de juridictions (l’ordre judiciaire avec à son sommet la Cour de cassation et l’ordre administratif avec à son sommet le Conseil d’État). Sauf dispositions législatives contraires, le juge administratif a théoriquement vocation à contrôler la légalité des actes pris par les autorités exerçant une activité administrative (c’est le cas des établissements de santé habilités à accueillir des personnes en soins sous contrainte). Il est également compétent pour engager la responsabilité de la puissance publique.
4– L’intensité du contrôle d’un acte dépend largement du contenu de l’acte. En général plus la décision touche aux libertés individuelles plus le juge exerce un contrôle approfondi. Il cherche notamment à savoir si la mesure aurait pu être moins attentatoire aux libertés et si elle est proportionnée aux buts poursuivis. Par exemple, pour les visites, plus que l’interdiction ne pouvait-on imaginer des visites encadrées…
5– Pour le contrôle de la légalité externe d’un acte, il s’agit de vérifier si l’autorité administrative à l’origine de la décision disposait bien du pouvoir de prendre la décision et si la procédure a correctement été suivie.
6– Pour le contrôle de la légalité interne d’un acte, le juge vérifie s’il n’y a pas eu de détournement de pouvoir (poursuite d’un intérêt illégitime) et si la décision est sur le fond conforme à la loi.
7– A savoir le tribunal administratif et la cour administrative d’appel qui examinent l’ensemble des questions posées par une requête.
8– Le pouvoir discrétionnaire est la liberté décisionnelle dont dispose un agent afin de lui permettre de remplir sa mission.