Accès en urgence au dossier médical : une liberté fondamentale

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Selon le Tribunal administratif, l’hôpital a l’obligation de permettre au patient hospitalisé sous contrainte qui conteste cette mesure d’accéder à son dossier médical dans les plus brefs délais.

Pour pouvoir contester le bien-fondé d’une hospitalisation dans un service de psychiatrie, le patient doit avoir accès à son dossier médical dans les plus brefs délais. Or, du fait des délais légaux de transmission, qui prévoient un accès « au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu’un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé », l’application du droit commun (article L. 1111-7 du Code la santé publique) ne permet pas de protéger efficacement les droits du patient soigné sous contrainte. C’est en substance ce que vient d’affirmer le juge des référés du tribunal administratif de Nantes (TA de Nantes, ord. du 3 octobre 2014, n°1408210).
Cette affaire mérite d’être signalée tant ses répercussions risquent d’être nombreuses compte tenu de l’examen systématique de la légalité des hospitalisations complètes sous contrainte.

• Depuis la réforme de 2011, le juge des libertés et de la détention (JLD) est désormais le seul compétent pour juger de la légalité d’une mesure individuelle autorisant le recours à la contrainte (article L. 3216-1 du Code de la santé publique [CSP]). Il peut être amené à statuer suite à une saisine express (art. L. 3211-12 du CSP) ou, en dehors de toute requête, de manière automatique pour les hospitalisations complètes (art. L. 3211-12-1 du CSP). Lorsque le patient et son avocat souhaitent contester l’illégalité de la mesure du fait du caractère disproportionné de la contrainte, il est indispensable de pouvoir mettre en discussion les éléments inscrits dans le dossier médical et non de se contenter des mentions inscrites dans les divers certificats médicaux remis à l’autorité administrative (préfet ou directeur).
Le Conseil d’État a refusé que, faute de dispositions législatives en ce sens, le dossier médical soit systématiquement transmis au JLD avant chaque audience (CE, 13 novembre 2013, association CRPA, n° 352667). Il a cependant pris soin de rappeler que rien ne s’oppose à ce que « le patient en sollicite la transmission ou que le juge en requière lui-même la production par le requérant ou encore qu’il ordonne, en raison du refus du requérant de produire son dossier ou pour tout autre motif, les expertises qui lui paraîtraient utiles » (considérant n° 6). Cette formule rappelle que non seulement le dossier médical contient des informations strictement personnelles qui ne seront discutées que sur demande du patient mais également que l’état réel de santé de ce dernier constitue un élément essentiel du débat sur le bien-fondé de la mesure.

Un débat juridictionnel de qualité suppose que l’ensemble des informations ayant concouru à la décision de contrainte puissent être mises dans la balance. Cependant, à défaut de transmission systématique du dossier au patient, il est indispensable de prévoir une procédure accélérée d’accès à l’information médicale. Dans l’affaire nantaise, une patiente demandait au juge des référés d’ordonner au directeur du Centre hospitalier universitaire de lui communiquer son dossier médical immédiatement, afin de pouvoir préparer efficacement l’audience prévue quatre jours plus tard. Elle estimait que les lenteurs administratives constituaient une atteinte à ses droits fondamentaux (liberté d’accès du citoyen aux documents administratifs et aux données médicales le concernant, principe d’égalité et droit au procès équitable). Anticipant la réaction de l’administration du fait de son hospitalisation sous contrainte, elle avait demandé à pouvoir accéder à son dossier en présence d’un médecin préalablement désigné. Sa demande restée sans réponse, elle a donc saisi le TA par la voie du référé.

• Le « référé liberté », prévu à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, permet à un administré (ici un patient hospitalisé sous contrainte) de demander au juge « d’ordonner toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle [une administration] aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Pour obtenir gain de cause, le requérant doit démontrer l’urgence de la situation. Dans son ordonnance, le juge nantais insiste sur le fait que l’accès au dossier médical est un élément indispensable d’un droit au recours au juge et a par conséquent le caractère d’une liberté fondamentale. « Cette possibilité implique que l’intéressé puisse obtenir la communication de l’intégralité des pièces figurant dans son dossier et au vu desquelles le juge va statuer, dans les limites prévues par la loi, tant sur la recevabilité que, le cas échéant, sur le fond de l’instance introduite, et ce dans un délai permettant à l’intéressé de constituer utilement sa requête ». C’est ainsi qu’en ne permettant pas au patient d’accéder en temps utile à son dossier, l’établissement de santé a porté « une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif ».

Il est fort probable que les avocats, dans l’intérêt du patient, usent de ce moyen pour tenter de préparer le débat devant le juge. Il reste désormais à ce que les barreaux organisent dans chaque établissement une procédure permettant de désigner rapidement un défenseur pour chaque patient contraint.

Éric Péchillon, Maître de conférences, Université de Rennes-1

À noter. L’Assistance publique des hôpitaux de Paris propose un imposant guide sur le dossier médical : Communiquer le dossier médical, Direction des affaires juridiques, 2014, 170 p. http://basedaj.aphp.fr/daj/public/file/openfile/id_fiche/12195/id/2864