Hospitalisation jugée illégale et indemnisation des préjudices subis

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Un patient qui a obtenu la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation sans consentement est en droit de demander la reconnaissance des préjudices subis et leur chiffrage.

La mise en place d’un contrôle juridictionnel de la légalité des mesures individuelles de placement en soins psychiatriques sous contrainte n’est qu’une étape de la judiciarisation de la psychiatrie. En effet, une fois la mainlevée prononcée par le juge des libertés et de la détention, il convient alors de se prononcer sur les conséquences dommageables d’un séjour illégal dans un service de psychiatrie. Toute mesure illégale est en effet considérée comme une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’autorité administrative à l’origine de cette situation.
Un exemple récent permet de faire le point sur un contentieux qui ne manquera pas de prendre de l’ampleur dans les mois à venir, celui de la reconnaissance des préjudices subis par les patients et de leur chiffrage (Cour d’appel de Paris, 18 février 2015, n° 13/03385). Dans cette affaire, une patiente a fait l’objet d’une mesure d’hospitalisation prononcée par le préfet, décision qui a été annulée par la justice. Sur cette base, la patiente a alors demandé à être indemnisée de l’ensemble des préjudices subis durant son hospitalisation illégale. Pour ce faire, elle disposait d’un délai de quatre ans pour déposer un recours et engager une action juridictionnelle en responsabilité.
Conformément aux dispositions du code de la Santé publique (CSP), ce recours doit être déposé devant la juridiction judiciaire (art. L. 3216-1 alinéa 3) qui est alors chargée de se prononcer sur la réalité des préjudices. Pour engager la responsabilité de l’administration, il convient de démontrer la réunion de trois éléments cumulatifs :
– l’administration doit avoir commis une faute, ce qui est systématiquement le cas lorsqu’elle prend une décision illégale;
– cette faute est à l’origine d’un dommage, ce qui suppose de convaincre le juge de l’existence d’un lien de causalité suffisant entre l’hospitalisation illégale et les préjudices invoqués;
– Enfin, la victime doit dresser la liste des divers préjudices subis et les chiffrer. C’est sur ce dernier point que la décision de la Cour d’Appel de Paris mérite d’être mentionnée.

Indemnisation par jour d’hospitalisation : la patiente demandait à être indemnisée pour chaque jour de privation de liberté illégal. En droit français, l’indemnisation vise à couvrir intégralement le préjudice subi et non à « enrichir » le justiciable. Les juges apprécient donc souverainement chaque cas d’espèce. Dans cette affaire, la patiente a obtenu un versement de 240 euros par jour (soit 20000 euros pour 83 jours d’hospitalisation complète), la Cour expliquant que la victime n’a pas pris soin de démontrer en détail la réalité de son train de vie (situation familiale, professionnelle…). Pour les juges, il était néanmoins incontestable que « du fait de l’hospitalisation d’office, [la patiente] a été privée de sa liberté d’aller et venir et n’a pas pu mener une vie privée et familiale normale ».

Indemnisation pour la non-information : la patiente a également obtenu 2000 euros d’indemnisation car l’administration n’a pas respecté ses droits d’administré et de justiciable en ne lui notifiant ni les décisions d’hospitalisations ni ses droits. Ce montant est remarquable car il donne tout son sens à la réforme législative de 2011 et 2013 qui oblige l’autorité administrative à informer chaque personne hospitalisée sur l’étendue de ses droits. L’article L. 3211-3 du CSP dispose effet qu’« avant chaque décision prononçant le maintien des soins […] ou définissant la forme de la prise en charge […] la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état. En outre, toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques [sous contrainte] est informée : a) le plus rapidement possible et d’une manière appropriée à son état, de la décision d’admission et de chacune des décisions [ultérieures], ainsi que des raisons qui les motivent; b) Dès l’admission ou aussitôt que son état le permet et, par la suite, à sa demande et après chacune des décisions [le concernant], de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l’article L. 3211-12-1. L’avis de cette personne sur les modalités des soins doit être recherché et pris en considération dans toute la mesure du possible ». En imposant à l’administration (préfet ou directeur) d’informer systématiquement le patient, le législateur prétend lui préserver une place dans la cité et une forme de dignité en lui permettant s’il le souhaite saisir un juge.

Indemnisation de l’admission contrainte de médicaments : pour le juge judiciaire, la reconnaissance de ce dernier préjudice (5000 euros) vise à protéger l’intégrité physique et sanctionner une pratique ancienne en psychiatrie. Il n’est en effet plus possible de présumer l’incapacité de consentir du patient ou de considérer que le silence du patient vaut acceptation du traitement. La formule utilisée par le juge est sans ambiguïté : « Il est indifférent comme le soutient l’intimé que l’intéressée devait recevoir des traitements médicamenteux compte tenu de son état médical et psychologique, qu’en effet, nonobstant la nécessité éventuelle de traitement, l’hospitalisation d’office l’a privée de la possibilité de discuter du traitement et éventuellement de refuser de se le voir administrer ou de faire un autre choix ». Un traitement, même justifié, peut être considéré comme préjudiciable lorsqu’il est administré sans permettre au patient de le refuser. L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est manifeste dans cette affaire.

Éric Péchillon, Maître de conférences, Université de Rennes-1