17/03/2022

Une parentalité singulière

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Avoir un enfant ou un parent atteint de maladie psychique, ce n’est pas rien. Parce que la maladie qui s’installe ne s’annonce pas toujours clairement, c’est entrer dans un dédale d’étapes et d’émotions en lien avec l’histoire du patient. Mon parcours de mère attentive à ma fille peut se résumer ainsi. Il n’est pas exemplaire mais doit ressembler dans sa globalité à celui d’autres familles.

Tout d’abord, il y a la première étape où tout s’écroule avec l’annonce de la pathologie souvent dans un contexte où les actes en cascade de la personne malade sont dérangeants, manquent de cohérence ou plutôt dont le sens nous échappe. S’en suit la phase de la culpabilité introvertie : qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait pour que cette maladie arrive ?, puis la phase de documentation par la recherche de sites internet, d’articles scientifiques… afin de comprendre, espérer trouver une thérapie vers une guérison possible. Puis vient la phase de résignation ou d’acceptation : vivons au jour le jour et savourons les « petits » bonheurs passés ensemble. Enfin, ils ne sont pas si petits que cela ces bonheurs partagés ensemble ! N’oublions pas la phase de colère après le système de psychiatrie classique qui maltraite les patients avec son arsenal de mesures  privatives de libertés qui s’imposent insidieusement au patient et à leur famille comme l’hospitalisation sous contrainte par exemple à la demande du directeur de l’hôpital. Mais aussi avec ses pseudo soins archaïques et brutaux ( enfermement, chambre d’isolement, contentions…) soi-disant dans l’ « intérêt » du patient ! Pseudo soins qui dégradent l’estime de soi, l’identité de la personne déjà chahutée par la maladie. Pseudo soins légitimés par certains médecins, renvoyant les familles à leur méconnaissance des pathologies psychiques, en les  éloignant de leur proche  malade.

Tout est à revoir !

Toute la politique de la psychiatrie est à revoir. La psychiatrie est le parent pauvre de l’hôpital et les restrictions – budgétaires pour ce secteur limitent ainsi les soins relationnels faute de personnels. A cela s’ajoutent des inégalités territoriales ou du moins des inégalités entre établissements qui appliquent ces mesures liberticides avec plus ou moins de zèle. Comment ne pas perdre alors confiance dans le système de santé au nom de principes sécuritaires qui piègent les patients et leur famille ? Deux nouvelles phases viennent s’ajouter les unes aux autres mais ne s’effacent pas. Elles sont prêtes, selon les circonstances, à ressurgir : phase de stratégie ou comment rechercher l’établissement le plus respectueux possible du patient avec des soins dignes de ce nom et phase revendicative par le recours aux associations dont les positions divergent : soit condescendantes à l’égard du système hospitalier, soit critiques face aux dérives et aux manquements de la psychiatrie actuelle. Chacun fait son choix.

Cheminement chaotique, douloureux, revendicatif dans lequel il faut maintenir le cap. Tu es avant tout mon enfant et ce lien est le plus fort… mais ne doit pas devenir exclusif ou absolu. Ne pas juger sur les actes mais trouver du sens sur la longueur avec la personne fragilisée par la maladie. Alors parler. Oui, pour le patient. Espace de parole avec son psychiatre, les soignants, à travers les ateliers thérapeutiques lorsque l’institution permet de vrais soins relationnels pour l’aider à comprendre sa maladie, pour avancer, pour se reconstruire.

Quelle place pour la famille ?

Et pour les familles ? Rendez-vous famille plus ou moins régulièrement ou une fois par an ; thérapie familiale… S’il s’agit d’un enfant, les parents sont plus associés que s’il s’agit d’un adulte, responsabilité civile oblige. Famille comme partenaire de soins, mais où et quand ? Tout dépend de la volonté des médecins et des soignants, trop souvent débordés dans leurs tâches professionnelles, qui privilégient l’attention, les traitements aux patients. Après tout, c’est leur rôle premier.

D’ailleurs, qui veut bien s’embarrasser des familles ? Et est-ce souhaitable ? Le lieu de soins est souvent le lieu de vie pour le patient. S’y rendre nécessite des efforts de sa part, c’est une preuve d’autonomie. Alors l’effacement des familles est parfois nécessaire.  Alors où ? Les familles restent souvent dans la sphère privée. Oui, c’est une lapalissade ! Elles restent avec leur souffrance, leurs espoirs, leurs projections sur le patient… Les familles font comme elles peuvent. La spécificité de la fonction parentale mériterait d’être reconnue car elle est transformée avec l’apparition de la maladie. Passer d’une relation duelle parent/enfant à une relation triangulaire maladie/parent/enfant (ou personne fragilisée par la maladie). Chacun des liens doit être pris en compte.
Enfant-maladie : la personne a-t-elle conscience de ses troubles et de leurs conséquences ? Comment les modifications apportées par la maladie sont-elles acceptées par elle ? Ressent-elle le besoin de recourir à des soins ? Comment la maladie chahute sa propre identité, son avenir, sa relation aux autres, au monde … ?
Parent-maladie :  le parent réalise-t-il que le comportement de son enfant se modifie ? Comprend-il le sens des nouvelles manifestations qui apparaissent ? Comment réagit-il ? Accepte-t-il le diagnostic ?… Le parent est face à ses propres représentations de la maladie psychique, mais aussi les représentations de sa famille, de son entourage, des médias… Son acceptation de la pathologie prend appui sur son éducation, son histoire, ses propres valeurs comme l’acceptation de la différence, la tolérance… ou non. 
Parent-enfant : comment se comporter l’un avec l’autre sans se blesser, sans se heurter ? Comment se ré-apprivoiser en douceur, avec tendresse sans nier la réalité de la pathologie ? Comment gérer la maladie, la vie quotidienne, les projets, les vacances …?

Mais cette relation triangulaire est bien simpliste vu la configuration des familles actuelles, quand il y a deux parents et plusieurs frères et sœurs, ou dans le cas d’une famille recomposée ou monoparentale… C’est tout un filet de relations qu’il faut prendre en compte dans ses solidarités, ses tensions et dans sa plasticité. Bien simpliste aussi quand des difficultés économiques ou d’un autre ordre s’immiscent dans le réseau familial.

Les familles ont besoin d’une reconnaissance de leur implication dans le processus de soins, elles en sont souvent écartées ou considérées à la périphérie dans la plupart des structures même si cette situation évolue. Elles ont besoin de partager leurs incertitudes :
– Que faire si mon enfant refuse de prendre ses médicaments ?
– Que répondre à mon enfant sur des sujets plus ou moins existentiels ou intimes :
• tu crois que je pourrai un jour travailler ?
• tu crois que j’aurai une vie de couple, que j’aurai des enfants ?
• combien de temps je vais vivre ?
• pendant combien de temps je vais pouvoir supporter cette maladie ?
• est-ce que je vais mourir jeune (suicide, effets des médicaments…) ?
– Comment réguler les initiatives de son enfant qui cherche à être autonome mais qui peut aussi se mettre en danger (ex conduire une voiture quand il n’est pas bien) Est-ce que moi, parent, je suis apte à estimer une prise de risque ?
– Laisser faire ou faire avec mon enfant ou faire à sa place ? Comment manier le curseur face aux difficultés mouvantes et parfois « invisibles » qu’amène la maladie dans ses phases de répit ou de tension ?
– Pourrais-je toujours aider mon enfant lorsque moi-même j’avance en âge, je deviens dépendant(e) et lorsque mon enfant vieillit lui aussi ? Qui prendra le relais après ma mort ?
… Et bien d’autres incertitudes qui interrogent sur le positionnement de parent quand on a un proche atteint de maladie psychique.

Une respiration commune

Comment ne pas vivre en miroir les émotions de son enfant : il est mal donc je suis mal ? Cela nécessite une prise de distance si délicate à réussir entre ce que moi, parent, je considère comme normal et comme pathologique ainsi que la perméabilité entre ces deux notions. Mais surtout maintenir les liens, nous sommes avant tout une famille. Il est plus facile dans l’intention d’être « aidant » que d’être « aidé ». « Aidant », je montre mon altruisme, ma générosité en rendant service, en soutenant l’autre et j’en suis remerciée. L’ »aidant » c’est celui qui n’est pas malade, qui a cette chance. Etre « aidé » renvoie  forcément à la déficience, à l’incapacité même partielle, même ponctuelle, à faire face, à gérer le quotidien, à gérer ses propres affaires.  C‘est agaçant d’être « aidé ».

Favoriser une reconnaissance, un appui pour cette parentalité si singulière des familles est nécessaire. Patients, professionnels de santé et familles, c’est dans la pluralité des expériences, des situations avec la maladie, que l’on peut trouver une respiration commune que chacun peut s’approprier et moduler à sa convenance. 

Dominique HUSSAUD

Sculpture Agnès Baillon, Crédit photo : Jean Louis Losi