Isolement-contention : l’insuffisance de moyens peut-elle légitimer des pratiques inhumaines ?

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« Jusqu’à quel point l’insuffisance de moyens et de personnels peut-elle légitimer des pratiques barbares, cruelles et inhumaines ?… » Alors que des acteurs alertent sur l’« impossibilité » de mettre en oeuvre les nouvelles procédures liées à l’isolement et à la contention, et que des praticiens hospitaliers demandent un « moratoire », le Cercle de réflexion et de propositions d’action sur la psychiatrie (CRPA, 1) demande un moratoire sur la « maltraitance » lors d’hospitalisations psychiatriques et lance une pétition. Communiqué.

Nous avons été informés du texte d’une pétition de professionnels de la psychiatrie à propos de l’article 84 de la loi de finance de la sécurité sociale 2021 qui réforme  l’isolement-contention, mais aussi du futur décret d’application de cette réforme qui devrait être pris ce mois-ci (2).

Des personnes usagères de la psychiatrie ainsi que les familles de ces personnes qui ont déjà connu de telles pratiques n’ont aucun intérêt à signer une telle demande de moratoire.

Nous soutenons pour notre part qu’est exigible la mise en oeuvre d’un moratoire à effet immédiat relatif à la maltraitance systématique que subissent les personnes hospitalisées dans la très large majorité des unités de soins psychiatriques.

Etat des lieux

En France, le système psychiatrique est le principal système répressif et d’enfermement devant le monde carcéral, compte tenu des pratiques de contrainte aux soins psychiatriques et de chantage au réinternement. Pourtant, le budget dédié à la psychiatrie en France rapporté au PIB par habitant est parmi les plus importants au monde : 20 milliards d’euros par an de coût direct pour l’assurance maladie, et dans les 110 milliards d’euros par an de coûts indirects.

Le système de soin psychiatrique est structurellement contraignant et violent et il est prouvé scientifiquement que les pratiques qui y ont cours sont globalement inefficaces. La violence et l’absence de respect des droits humains en milieu psychiatrique sont aujourd’hui reconnues officiellement. En attestent les récents rapports parlementaires, les rapports successifs de la  Contrôleure Générale des lieux de privation de liberté, comme celui de la Rapporteur spéciale des Nations-Unies sur les droits des personnes handicapées publié début 2019.

Les chiffres officiels disponibles traduisent une augmentation sensible du recours à la contrainte aux soins, en nombre de personnes concernées, mais aussi en durée et en recours à l’hospitalisation sans consentement (3).

Malgré les réformes de 1990, 1996, 2002, instituant formellement le respect des droits des patients hospitalisés en psychiatrie (4), l’arsenal législatif et réglementaire prônant la démocratisation de la relation de soin en psychiatrie admet dans le même temps des limitations considérables aux libertés des personnes faisant l’objet de soins ou d’hospitalisation psychiatrique (5). Ces limitations ont été constatées par des Hautes Cours (notamment la CEDH) comme exorbitantes du droit commun parce que non assorties de voies de recours directes et effectives. 

La loi du 5 juillet 2011 a fait figure de révolution juridique en introduisant un contrôle judiciaire systématique a posteriori des décisions d’hospitalisation sans consentement, confié au juge des libertés et de la détention. Mais force est de constater qu’en adoptant cette loi, la France n’a fait que s’aligner sur les standards du droit européen sur injonction du Conseil Constitutionnel,  ce qu’elle aurait dû le faire dès 1990 dans le cadre de la réforme de la loi du 30 juin 1838.

Enfin, le 26 janvier 2016, un article de la loi de modernisation du système de santé a encadré le recours à l’isolement et la contention, qui sont des pratiques aussi indignes qu’inefficaces emblématiques du statut subi par les personnes ayant des troubles psychiques : au mieux celui de citoyens de seconde zone maintenus en état de minorité, au pire celui de dangereux individus à contenir.

Ce statut d’infériorisation systématique n’est d’ailleurs pas sans rappeler le statut des colonisés fixé par le code de l’indigénat en vigueur au moment des conflits relatifs aux indépendances des années 1950 – 1960.

On peut observer qu’en droit interne français contemporain on ne trouve – qu’on sache – aucune condamnation correctionnelle ou d’assises, concernant les décès par surdose de traitements  psychiatriques ou dus à des mises en isolement avec ou sans contention, mais seulement quelques rares condamnations indemnitaires prononcées par la juridiction administrative d’ailleurs non dissuasives.

On observe aussi qu’une mise en isolement contention dans un cadre légal irrégulier ne vaut guère que quelques milliers d’euros d’indemnisation, ce qui ne présente non plus aucun caractère dissuasif.

Des pratiques alternatives combattues ou sous-développées

Pourtant des dispositifs alternatifs d’accompagnement et des espaces d’autosupport existent dans d’autres pays, de façon moindre en France, alors même que les pratiques alternatives d’accueil françaises sont combattues par le Pouvoir, l’administration centrale et les directions hospitalières dans la majorité des services. Le mouvement du rétablissement en santé mentale est en France très largement minoritaire. Si les discours officiels mettent en avant le respect des droits, l’inclusion sociale et les compétences des personnes concernées, les réalités de terrain sont très largement en sens contraire des déclarations institutionnelles.

Si nous revendiquons un moratoire sur la maltraitance des patients hospitalisés en psychiatrie, c’est pour exiger que les pouvoirs publics soutiennent les pratiques de prise en charge alternatives qui respectent l’humanité et les droits fondamentaux des patients. 

C’est aussi  pour exiger que le Gouvernement et les pouvoirs publics organisent un changement radical de pratiques au sein du système de soin psychiatrique dans son entier autour de ces pratiques, celles-ci étant efficaces précisément parce qu’elles sont respectueuses des droits des personnes concernées.

De nombreux soignants, en particulier des jeunes soignants, ne veulent plus perpétuer le  système antérieur qui deshumanise aussi bien les personnes psychiatrisées que les soignants, mais aussi les familles contraintes d’accepter la maltraitance systématique de leur parent psychiatrisé. 

Conclusion

Pour conclure la pétition lancée actuellement par une partie de la profession psychiatrique pour un moratoire sur l’application de la loi sur l’isolement et la contention avance des arguments techniques relatifs à l’insuffisance de moyens et de personnels.

Cet argument est au fond choquant : jusqu’à quel point l’insuffisance de moyens et de personnels peut-elle légitimer des pratiques barbares, cruelles et inhumaines aussi systématiques dont on devrait pouvoir se passer ?

Nous en appelons quant à nous à une réforme politique d’envergure, sur le modèle de politiques étrangères respectueuses des droits.

Il n’est enfin plus admissible que les voix des personnes concernées et de leurs aidants restent inaudibles.

1– Le CRPA est agréé pour représenter les usagers du système de santé en Île-de-France, par arrêté n°16-1096 de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France du 6 septembre 2016, et est adhérent au Réseau européen des (ex) usagers et survivants de la psychiatrie (ENUSP / REUSP).

2–  Hospimedia, 18 février 2021. La mobilisation s’amplifie face à la réforme hors-sol de l’isolement – contention.

3– Il y a eu, en 2015, 76 676 saisines du juge des libertés et de la détention (+8% par rapport à 2014, + 27% par rapport à 2012), dont 96,8% dans le cadre du contrôle obligatoire périodique.

4–   La loi du 27 juin 1990 avait été une première tentative de consécration des droits des personnes hospitalisées en psychiatrie : principes du libre choix du praticien et de l’établissement, dates butoir pour le renouvellement des mesures d’hospitalisation sans consentement avec clauses de caducité, légalisation du service libre. 

En 1995, la circulaire du 6 mai incite les établissements de santé au travers d’une charte des patients à veiller à la bonne application des règles de déontologie médicale et paramédicale, à la possibilité pour les patients de faire valoir leurs droits : accès aux soins sans discrimination, y compris en cas d’urgence, information et  consentement du patient, droit de quitter l’établissement après avoir signé une décharge, respect de l’intimité, des croyances du patient, accès au dossier du patient et les voies de recours possibles.

L’ordonnance portant réforme de l’hospitalisation publique et privée du 24 avril 1996 donnera une base légale à la charte du patient hospitalisé et instituera dans chaque établissement de santé « une commission de conciliation chargée d’assister et d’orienter toute personne qui s’estime victime d’un préjudice du fait de l’activité de l’établissement et de lui indiquer les voies de conciliation et de recours dont elle dispose ».

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades formalise les droits des patients dont l’accès direct au dossier médical constitue l’emblème, se différencie dans son esprit de la loi du 27 juin 1990 car elle s’adresse à tous les patients, quelle que soit leur pathologie et quel que soit leur régime d’hospitalisation.

5– Ainsi, la loi de 1990 reprend les grands mécanismes d’internement de la loi de 1838 et la loi de 2002 introduit quasi-systématiquement pour chaque nouveau droit légalisé une limite que le médecin pourra apprécier sans garde- fou judiciaire systématique.

 

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