La liberté, droit fondamental

N° 250 - Septembre 2020
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Le Conseil constitutionnel exige que le cadre des soins sans consentement apporte des garanties juridictionnelles au patient. L’occasion de rappeler les principes éthiques de la privation de liberté.

Un « fou » peut-il faire appel d’une décision d’ordre médical ? C’est la question à laquelle a répondu par la positive le Conseil constitutionnel en censurant, en juin dernier, l’article de loi qui permettait la prolongation indéfinie des mesures de contention ou d’isolement des malades mentaux (1). Si le principe des soins sans consentement en lui-même n’est pas visé par cette censure, un malade doit cependant pouvoir contester le cadre de l’isolement ou la contention. On peut trouver cette censure aberrante : soumettre une mesure de soin à une autorisation juridique ne conduit-il pas à dénaturer et le soin et la justice, empêchant l’un de protéger le patient, l’autre le citoyen? N’est-ce pas là une nouvelle manifestation de la judiciarisation de la société? N’est-ce pas mettre le « fou » et le médecin sur un pied d’égalité, voire donner l’avantage au délire sur le diagnostic? Le Conseil constitutionnel ne devrait-il pas appuyer la loi de la raison, plutôt que sa contestation?

La liberté, dernier rempart

En effet, la maladie mentale se caractérise par l’incapacité de la personne à respecter la loi, qu’il s’agisse de la loi rationnelle, de la loi des usages ou, dans certains cas, de la loi pénale, cette triple imbrication en quoi consiste la responsabilité. S’il est acceptable d’enfermer un « fou » sans lui demander son avis, c’est que la folie est précisément une défaillance de son jugement. Quand quelqu’un est « fou à lier », c’est que son jugement est démentiel. L’enfermement du malade mental n’est que la suite de son incapacité à se diriger selon ce qui est attendu, à obéir aux lois de la raison, c’est-à-dire en somme de son incapacité à s’enfermer lui-même. Comme dirait Georges Perros, « Un homme qui ne sait pas se mettre en prison tout seul, la clé dans la poche, est foutu » (2). Et c’est parce que le fou ne sait pas « garder la clé dans sa poche », qu’il faut la garder dans la nôtre.
Le problème, c’est que la folie n’est pas un bloc. Déraison et responsabilité ne sont pas alignées. Il est des folies bien habillées (3), et inversement des pathologies mentales qui n’abolissent pas la responsabilité – il n’est qu’à lire la stupéfiante plaidoirie que le Président Schreber fit luimême (il fut président de la Cour d’appel de Dresde) dans une procédure d’appel contre la décision des juges de le maintenir interné (4). Ainsi, l’article 64 du Code pénal de 1810, qui établissait qu’« il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu est en état de démence au temps de l’action », traitant la folie en bloc, a été remplacé en 1994 par l’article 122-1 qui fait la distinction entre l’abolition et l’altération du jugement. Si l’abolition motive l’irresponsabilité pénale, l’altération n’entraîne que des circonstances atténuantes. De même pour les soins, la privation de liberté peut s’imposer à l’individu qui ne s’appartient plus, mais doit répondre à des règles qui prévalent sur le soin, car la limite entre l’abolition et l’altération, entre la folie irrésistible et le trouble limité est impossible à fixer, et doit donc répondre en dernier lieu à des règles où c’est la liberté qui prévaut. La liberté est en effet le dernier rempart, non pas à la folie, mais à la déraison et à l’aliénation. On sait à quelles horreurs ont mené les dogmes prétendant dire la vérité sur l’être humain. Aussi la privation de liberté doit-elle toujours répondre à la fois à la nécessité et à la proportionnalité. On le voit par exemple au travers du cadre juridique de la tutelle qui, décidée par un juge, va de la protection complète où le tuteur se substitue à l’individu pour prendre les décisions importantes de son existence, à la curatelle, qui est une simple assistance, et jusqu’à la sauvegarde de justice qui protège l’individu a posteriori en annulant des actes qui nuiraient manifestement à ses intérêts (5), et où donc sa responsabilité est considérée comme entière jusqu’à preuve du contraire. Bref : l’individu n’est jamais dépouillé de ses droits fondamentaux sans un motif médical juridiquement contrôlé. Il n’y a aucune raison que les mesures privatives de liberté propres aux institutions psychiatriques y dérogent. 

Assurer une communauté

Ainsi, la nécessité de soumettre les mesures privatives de liberté au contrôle du juge s’inscrit-elle dans la tradition républicaine selon laquelle la liberté est la loi et la contrainte l’exception, qui remonte à la Magna Carta (6) de 1215 soumettant le pouvoir royal à des règles de droits, en passant par l’Habeas Corpus de 1679 exigeant que tout emprisonnement soit juridiquement motivé, jusqu’aux lois Kouchner de 2002 (7) réclamant le consentement éclairé des patients aux soins qui leur sont prodigués. Cette décision du Conseil constitutionnel nous rappelle ainsi que le problème n’est pas de tracer une frontière, mais d’assurer une communauté, celle de sujets de droits qui, même quand leur subjectivité est instable, doivent être assurés de l’extérieur, par l’appel judiciaire, d’une reprise de parole toujours possible.

Guillaume Von Der Weid, Professeur de philosophie

1– Décision n° 2020-844 du Conseil constitutionnel, 9 juin 2020. Lire aussi Droit en pratique, p. 11.
2– Perros (Georges) : Papiers Collés, Coll. Imaginaire, Gallimard, 1989, tome 2, p. 425.
3– « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou. » Pascal (Blaise) : Pensées, éd. Brunschvicg, n° 414.
4– Schreber (Paul), « Exposé des moyens de l’appel », in Mémoire d’un névropathe, Points, Seuil, 1985, annexes, p. 318-345. Voir aussi l’appendice : « À quelles conditions une personne jugée aliénée peut-elle être maintenue dans un établissement hospitalier contre sa volonté évidente? » (p. 289-299).
5– Art. 433 à 439 du Code civil.
6– Cette « grande charte » instaure notamment le principe d’égalité universelle devant la loi.
7– Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.