Fugue d’un  patient  et  responsabilité infirmière

N° 248 - Mai 2020
FacebookTwitterLinkedInEmail

Une décision récente de la Cour administrative d’appel (CAA) vient préciser la responsabilité infirmière dans la surveillance d’un groupe de patients au cours d’une sortie thérapeutique.

La « fugue » d’un patient au cours d’une sortie thérapeutique est-elle constitutive d’une faute imputable au soignant accompagnant? Le contentieux relatif aux sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre d’un membre du personnel infirmier est souvent l’occasion de préciser les obligations à la charge de chaque catégorie professionnelle. Une affaire récente offre l’occasion de faire un point sur l’organisation matérielle des « sorties thérapeutiques » des patients en soins libres (1).
Le pouvoir disciplinaire est l’expression du pouvoir hiérarchique de l’employeur (2) mais il est toujours possible d’en contrôler la légalité devant la juridiction compétente, ici le juge administratif, même lorsque la sanction prononcée n’est pas inscrite dans le dossier disciplinaire (3). En l’espèce, trois infirmières ont fait l’objet d’un avertissement suite à la « fugue » durant plusieurs heures d’un patient lors d’une sortie en ville organisée par l’établissement. Parmi elles, la requérante entend démontrer qu’aucune faute professionnelle justifiant une sanction disciplinaire, aussi minime soit-elle, ne peut lui être imputée durant cet épisode dont elle n’était pas à l’initiative. Elle estime notamment que la sortie avait été autorisée par le psychiatre, que le cadre de santé en avait réduit l’encadrement de quatre à trois infirmières et surtout que les patients étaient tous suivis en soins libres et disposaient donc de la liberté d’aller et de venir.
Sur le terrain disciplinaire, le juge confirme dans sa décision la légalité et la proportionnalité de l’avertissement. Il distingue en effet le choix d’organiser la sortie thérapeutique et sa gestion pratique par l’équipe infirmière. Il se concentre sur cette dernière en examinant dans un premier temps l’existence de la faute disciplinaire puis, dans un second temps, en contrôlant la proportionnalité de la sanction prononcée.

Un défaut d'organisation caractérisé

Les trois infirmières s’étaient, de leur propre initiative, organisées entre elles pour se répartir la surveillance individualisée des patients. Cependant, durant la sortie, l’une d’entre elles avait dû s’éloigner momentanément pour rattraper un patient qui avait traversé seul la chaussée. Durant cet intervalle, la requérante était restée « au seuil du restaurant dans lequel la troisième infirmière était entrée, afin d’attendre le reste du groupe ». Cet enchaînement soudain de circonstances ne la dispensait pas, selon le juge, de « s’assurer que le dernier patient les rejoignait ». Pour la Cour administrative d’appel, le fait qu’un patient ait échappé à la surveillance collective des trois infirmières est constitutif « d’un défaut d’organisation de la surveillance de la sortie ». Cette faute est imputable à toutes les trois, qui ont d’ailleurs été sanctionnées de la même manière par le directeur.
Pour retenir la faute disciplinaire, le juge se borne donc à constater le résultat de la surveillance (disparition d’un patient) sans se prononcer sur la manière dont elle a été préalablement organisée par l’équipe infirmière. Il considère ainsi que cette initiative infirmière relevait bien de leur responsabilité et qu’elle s’est avérée inefficace ou tout moins inappropriée. En soulignant par une formule de principe que « l’encadrement d’une sortie thérapeutique ne constitue pas une tâche d’une technicité et d’une complexité qui excèdent les compétences du personnel infirmier », la juridiction administrative renvoie à la requérante la charge de démontrer qu’aucune faute de sa part n’aurait été commise. Il s’agit d’une forme de présomption de faute difficilement renversable par l’infirmière.

Une sanction proportionnée

L’existence d’une faute étant retenue, le juge se prononce ensuite sur la proportionnalité de la sanction. La loi dispose que « toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire » (4). Sans obligation, l’administration a donc la possibilité de prononcer une sanction disciplinaire en cas de faute, à condition que la mesure soit prévue par les textes et proportionnée à la gravité des faits (5). Le directeur ayant ici prononcé la sanction la plus faible (l’avertissement), le juge constate son caractère non disproportionné.
Rappelons pour finir que lorsqu’un patient échappe à la surveillance du personnel, il convient d’en avertir immédiatement la direction afin qu’elle puisse, le cas échéant, signaler aux forces de l’ordre une éventuelle disparition inquiétante (6). Cette information ne fait pas disparaître une éventuelle faute professionnelle, mais elle évite d’en commettre une autre.

Éric Péchillon, Professeur de Droit public, Université Bretagne Sud

1– CAA Bordeaux, 11 février 2020, Mme E., req. n° 18BX00532.
2– À ne pas confondre avec la responsabilité ordinale. À la différence des sanctions prononcées par l’employeur (décisions administratives), celles prononcées par les chambres disciplinaires ordinales sont des décisions juridictionnelles (CE, Ass., 2 décembre 1953, de Bayo, p. 544).
3– « Parmi les sanctions du premier groupe, le blâme et l’exclusion temporaire de fonctions sont inscrits au dossier du fonctionnaire. Ils sont effacés automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n’est intervenue pendant cette période ».
4– Article 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (modifié le 6 août 2019)
5– CE, 30 décembre 2014, Bonnemaison, n° 381245 : « Le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, [et] il appartient au juge (…) de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise ».
6– Voir https://www. service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31558.