Le juge et la liberté thérapeutique

N° 231 - Octobre 2018
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Le juge ne peut se substituer aux équipes soignantes pour déterminer la teneur et les conditions de prises en charge thérapeutiques. En revanche, il s’assure que les droits du patient à bénéficier d’un suivi sont respectés.

L’augmentation rapide des recours contentieux concernant les soins a pu faire craindre que l’indépendance et la liberté thérapeutique des équipes soignantes ne soient remises en cause par un contrôle trop intrusif du juge, et, partant, inadapté. Ce n’est heureusement pas le cas, comme vient de le rappeler le Conseil d’État (1). Ce dernier avait déjà souligné que le patient, bien qu’au cœur des soins, ne pouvait décider seul de son traitement (2). Il précise ici que l’indépendance des médecins limite les pouvoirs du juge, dont le rôle est de faire respecter les règles gouvernant le droit de la santé, sans se substituer aux équipes soignantes (3).

L'art médical, un exercice indépendant

Dans l’affaire examinée, le patient requérant demandait au juge des référés (4) d’ordonner au Centre hospitalier universitaire (CHU) de procéder à son admission en urgence et de réaliser une intervention médicale qui avait été plusieurs fois reportée. Il s’appuyait pour cela sur les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui, en cas d’urgence, permettent au juge d’« ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (5) à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Ce type d’affaires intéresse directement les équipes de psychiatrie, régulièrement sollicitées par les patients ou leurs proches pour des interventions et des prises en charge immédiates (6).
Dans ces circonstances, le juge des référés contrôle qu’une prise en charge thérapeutique, tenant compte des bénéfices escomptés et des risques encourus, est effectivement assurée par l’établissement de santé. Sur ce point, le juge applique une jurisprudence constante qui rappelle qu’un patient « a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé sous réserve de son consentement libre et éclairé » (articles L.1110-5 et L. 1111-4 du code de la santé publique). Concrètement, il s’assure que le service de soins a effectivement reçu le patient et évalué son état de santé. À défaut, il peut lui enjoindre de le faire, à condition que l’urgence de la situation l’impose. Notons que cette exigence d’urgence est assez difficile à faire admettre au juge en matière psychiatrique, dès lors que le pronostic vital du patient n’est pas directement engagé.
Dès que cette obligation de moyens est remplie, « il n’appartient pas au juge des référés de prescrire à l’équipe médicale que soit fixé un autre calendrier pour la réalisation de l’intervention […] que celui qu’elle a retenu à l’issue du bilan qu’il lui appartient d’effectuer ». Le juge administratif n’entend donc pas se substituer aux équipes soignantes pour déterminer la teneur et les conditions de la prise en charge thérapeutique. Cette précision est importante car elle permet de bien comprendre l’office du juge qui, en la matière, entend préserver l’indépendance et la liberté professionnelles des soignants.
C’est dans le même ordre d’idée que le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait jugé, en 2005 (7), que « le désir légitime des demandeurs de tout mettre en œuvre pour favoriser la guérison de leur enfant ne peut leur permettre de demander à l’État de s’immiscer dans les relations patients/praticiens et dans l’exercice indépendant de l’art médical ». L’appréciation de la pertinence d’une prise en charge médicale « ne relève pas (…) du débat judiciaire, mais de la seule compétence des professionnels de santé devant en conscience et dans l’intérêt (du patient) décider du traitement le plus adapté à son état ».
Que le juge ne s’improvise pas médecin paraît relever du bon sens, mais il est parfois bon de rappeler les évidences.

Stéphanie Renard, Maître de conférences ; Éric Péchillon, Professeur des Universités, Lab-LEX EA 7480, Université Bretagne Sud

1– Ordonnance 27 juillet 2018, n° 422241.
2– Voir Un patient peut-il choisir son traitement ?, Santé mentale, Le droit en pratique, octobre 2017, n° 221, p. 12.
3– CE, ass., 14 février 2014, Lambert, 375081. www.conseil-etat.fr/Actualites/DiscoursInterventions/Le-juge-face-aux-questions-ethiques.
4– Le juge des référés est le juge administratif de l’urgence. Il ne juge pas du principal mais permet d’obtenir des mesures provisoires et rapides, destinées à sauvegarder les droits et libertés des administrés.
5– La notion de liberté fondamentale fait, en pareil cas, l’objet d’une interprétation relativement large qui englobe le droit de mener une vie familiale normale (CE, 30 octobre 2001, Ministre de l’intérieur c/Mme T., 238211), et le droit au respect de la vie (CE, sect., 16 novembre 2011, Ville de Paris et Société d’économie mixte PariSeine, 353172- 353173).
6– CE ord. 27 novembre 2013, n° 373300 : « Les parents d’un jeune enfant autiste ont demandé au juge du référé liberté d’ordonner à l’administration de prendre les mesures nécessaires pour assurer le placement de leur enfant autiste dans un institut médico-éducatif, qu’ils ne pouvaient obtenir faute de place disponible ». Le Conseil d’État a rejeté cette demande, ne relevant « aucune carence caractérisée de l’administration dans l’accomplissement de son obligation d’assurer une prise en charge effective des autistes ».
7– TGI Paris, référé, 29 novembre 2005, n° 05/59998.