Peter Pan parmi nous…

N° 212 - Novembre 2016
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Arrivé quelques mois auparavant à l’hôpital de jour, le jeune Peter, qui souffre d’autisme, séduit par son sourire et son air enfantin…

Peter a 12 ans et sa petite tête rousse observe la vie de l’hôpital de jour d’un air espiègle. Ce petit garçon qui souffre d’autisme a été admis quelques mois auparavant. À son arrivée, il s’est d’abord montré très tendu. Il était resté un an sans structure de soin, accueilli chez sa grand-mère et il a dû s’adapter. La présence des autres adolescents le perturbait et nous le voyions souffrir et se boucher les oreilles en grimaçant dès qu’il y avait des éclats de voix. Il a rempli tous les trous des lavabos et des toilettes avec du papier. Il était si angoissé qu’il ne pouvait pas rester avec le groupe et dans un premier temps nous avons dû le laisser parfois toute la matinée dans la cour, où il ramassait des feuilles et des insectes. Petit à petit il s’est approché de ses pairs.
Mais aujourd’hui, il cherche le contact et les attrape par surprise, ce qui a le don de les énerver. À table, il ne mange encore que du pain avec de la sauce même s’il peut parfois goûter un peu de viande qui lui est proposée. Il adore se lever et mettre sa tête à travers le passe-plat pour regarder de l’autre côté.

Le groupe piscine

Cet été, sa mère nous ayant dit qu’il savait nager, nous proposons à Peter de participer au groupe natation. Il paraît très heureux en découvrant avec nous la piscine Joséphine-Baker, cet établissement flottant amarré sur les berges de la Seine. Nous sommes au mois d’août et il fait très chaud. Peter marche lentement, très loin derrière les autres. Nous devons ralentir pour ne pas le perdre. Comme un tout jeune enfant, il s’arrête devant chaque fleur, chaque buisson, chaque insecte pour le toucher, tout ce qu’il voit le fascine. Il glisse dans sa poche quantité de feuilles de différentes formes et couleurs qu’il arrache tout au long du chemin.
La piscine est un bassin découvert. Peter s’appuie sur la balustrade et fixe l’eau profonde du fleuve. Il semble émerveillé par les bateaux qui traversent paisiblement la ville et se tourne finalement vers nous quand le reste du groupe est déjà dans l’eau. Il saute dans le bassin sans son bonnet de bain et sort la tête en crachant un grand jet d’eau. Puis il est attiré par les bouches de filtrations et y glisse son doigt pour sentir la force d’aspiration. Nous l’appelons, il nous regarde d’un air étonné comme s’il nous avait oubliés, tout occupé à se procurer des sensations corporelles pour s’apaiser.
Il s’éloigne en nageant mais nous lui rappelons de rester avec le groupe. Pour se venger, il arrache le bonnet de bain de ma collègue Mara et le jette au loin. Le bonnet coule lentement sous l’eau et Mara laisse Peter contempler la lente descente de l’objet jusqu’à ce qu’il plonge sa tête pour, agilement, le rattraper et lui rendre d’un air ravi et triomphant.
Peter est si chétif et petit qu’on lui donne à peine 7 ans. Il éclabousse d’autres enfants et joue avec eux à cache-cache. Les mères sourient à ce garçon vif au regard pétillant et à la voix un peu métallique. Il se dirige vers la pataugeoire et s’immerge totalement, laissant dépasser juste sa tête. Il éclabousse les autres enfants en faisant de grands moulinets avec ses bras. Quand il saute dans l’eau pour s’enfuir, les gouttelettes tombent autour de lui comme des jets de lumière et j’ai l’impression qu’il vole sur l’eau, comme Peter Pan.

« À quoi ça sert, les bateaux qui bougent pas ? »

C’est le moment du départ, et Peter salue gravement chacun de ses nouveaux compagnons puis marche derrière notre groupe, tête baissée. Les jeunes s’habillent et nous l’attendons longtemps à la sortie des vestiaires. Mara retourne le chercher et le trouve face à un ventilateur rotatif. Il suit le mouvement du vent avec sa tête et savoure, les yeux fermés, la douceur de l’air sur chaque partie de son visage. Ma collègue lui prend doucement le bras en lui expliquant que nous l’attendons.
Sur la passerelle du bateau, Peter me fait de grands signes : « Je peux te demander encore quelque chose, Virginie? Pourquoi les bateaux restent là sur le bord? »
Je lui montre les amarrages fixés solidement sur la rive.
« Alors ils ne peuvent pas bouger ?
− Non, ils ne peuvent pas.
– Alors à quoi ça sert les bateaux qui bougent pas? »
Je ne sais pas quoi lui dire mais un autre jeune vient à mon aide :
« C’est pour faire joli.
− J’ai compris, on y va? »
Peter sourit et ses boucles volent joliment autour de lui. Malgré ses difficultés, voilà un petit bonhomme qui a su conquérir l’hôpital de jour…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .