« Je ne veux pas partir! »

N° 211 - Octobre 2016
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Maud, 18 ans, redoute de déménager et de quitter l’hôpital de jour, où elle se sent bien et se construit hors de sa mère. Comment se séparer quand l’avenir est plein d’incertitudes ?

En ce beau mois d’été, Maud, tout juste 18 ans, est triste et tendue. Cette jeune fille, qui souffre de psychose infantile, est suivie à l’hôpital de jour depuis quatre ans. Elle doit déménager dans quelques mois, ce qui l’inquiète beaucoup. Elle pleure parfois longuement, en répétant qu’elle ne veut pas nous quitter.
Depuis son admission, Maud a fait d’énormes progrès en matière d’autonomie : elle peut rester seule chez elle, s’habiller, se coiffer et préparer ses affaires pour venir au centre de jour. Elle y a tissé des liens et passe beaucoup de temps à rire et parler des garçons avec un groupe de jeunes de son âge. Volubile, elle possède un vocabulaire assez riche. En revanche, Maud ne sait ni lire ni écrire et éprouve de grandes difficultés à s’orienter dans l’espace et dans le temps. Elle se perd facilement et, pour les achats du quotidien, sort encore accompagnée de sa mère.
Maud vit en banlieue parisienne avec sa maman et son petit frère. À la fin d’un entretien familial, nous apprenons que sa mère a un nouveau compagnon, retraité, et qu’elle s’apprête à déménager pour le rejoindre à Nice. Maud baisse la tête sans rien dire. Un peu plus tard, elle me confie : « Je ne veux pas partir dans le Nord.
– Maud, Nice, c’est dans le Sud. Tu as déjà visité? »
Elle secoue la tête, renfrognée : « Je ne veux pas quitter mes amis. » En salle informatique, une collègue éducatrice entreprend de lui montrer des photos de la ville. Enthousiaste, elle lui assure que c’est une région magnifique, qu’il y fait toujours beau. Elle évoque les fleurs, le carnaval, on ne peut plus l’arrêter, et Maud écoute avec ravissement, pas tant pour ce qu’elle dit, mais parce qu’elle aime beaucoup écouter l’accent chantant de ma collègue…

« C’est dangereux… »

Juste avant l’attentat qui frappe la ville le 14 juillet 2016, Maud et sa famille partent repérer les lieux et faire un peu de tourisme. Une semaine plus tard, j’entends Fatou, une patiente qui est sa meilleure amie, affirmer à Maud : « Tu ne pourras même pas te baigner à Nice, c’est dangereux. » La jeune fille se mure dans le silence. J’ai l’impression que Fatou prend de la distance avec Maud, comme si elle commençait déjà à préparer son absence et préférait se fâcher avec elle plutôt que regretter son départ.
Après ce voyage, la mère de Maud reste déterminée à déménager, tout en nous expliquant qu’elle va garder son appartement à Paris, au cas où ce serait trop difficile pour les enfants. « Mais de toute façon, ce projet, c’est pour les enfants, ils auront un environnement magnifique, le soleil, la mer, l’Italie est proche, on va voyager tous les quatre. Même si je ne trouve pas immédiatement une structure pour Maud, on aura de beaux moments, on va faire beaucoup de choses. » Quand le médecin interroge Maud sur son séjour à Nice, l’adolescente baisse la tête sans répondre. « Maud est restée dans sa chambre d’hôtel, elle n’a presque pas voulu sortir », critique sa mère, qui dissimule mal sa colère.
Nous pensons que Maud craint de se retrouver en tête à tête avec sa mère pour de longs mois, voire peut-être des années, avant de trouver une structure qui l’accueille à temps plein. Chez nous, malgré ses difficultés, elle s’est construit un espace de liberté et d’échanges hors de sa mère. Maud a son jardin secret, ses amis et nous savons qu’elle refuse de répondre aux questions trop insistantes de sa mère.

Se séparer

Maud pleure presque tous les jours et nous l’accompagnons de notre mieux. Mais comment partir quand on ne peut anticiper son avenir, comment penser le temps et les mois, quand on a du mal à faire la différence entre hier, aujourd’hui, demain? Comment se séparer de sa mère et devenir une jeune adulte sans fréquenter d’autres jeunes dans une structure de soin? Comment partir quand on a peur ? Peur de se séparer, peur de ces images de Nice traumatisée par l’attentat au journal télévisé, peur de se perdre dans un ailleurs que Maud n’a pas les moyens d’imaginer. Dans cet espace intermédiaire avant son départ, nous continuons à l’accueillir dans les groupes, avec les autres jeunes, à la soigner comme si elle allait rester avec nous tout en gardant à l’esprit son départ. Pour pouvoir, nous aussi, nous séparer d’elle…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .