Tenir bon

N° 199 - Juin 2015
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En rébellion permanente, Marilyn, 18 ans, reste très difficile à gérer au quotidien. Les soignants invitent ses parents à partager leurs préoccupations.

J’ai déjà évoqué Marilyn et son histoire familiale douloureuse (1). D’origine ivoirienne, cette jeune fille de 18 ans souffre d’un trouble envahissant du développement, diagnostiqué autour de ses 3 ans. Elle vit avec sa mère et son beaupère (qui l’a élevée depuis l’âge d’1 an) et ses deux demi-sœurs plus jeunes qu’elle.

Bras de fer

À mon arrivée à l’hôpital de jour (HDJ) il y a deux ans, Marilyn était quasi-mutique. Aujourd’hui, elle parvient à se faire entendre des soignants autrement qu’en hurlant. Cependant, depuis quelques mois, elle change et à bien du mal à supporter les règles de vie en collectivité.
Marilyn arrive en retard le matin et passe son temps à dormir et à nous éviter. Figure jusque-là dynamique du groupe « Éducation à la santé filles », elle s’en absente désormais très souvent. Idem dans les autres groupes. Elle s’isole dans le « havre de paix » des patients (salle où les jeunes peuvent se reposer) ou s’enferme dans les toilettes pour écouter de la musique sur son téléphone portable. Évidemment, elle sait que le mobile est interdit à l’HDJ. Nous lui rappelons sans cesse les règles, au cours de bras de fer particulièrement éprouvants pour l’équipe et surtout pour nous, ses référents, qui avons l’impression de la surveiller comme des policiers.
Il y a quelques semaines, après le repas, je cherche Marilyn et la retrouve finalement dans les toilettes en train d’écouter de la musique. Prise sur le fait, elle nie farouchement. Son médecin décide de l’exclure pour une semaine. Lors de sa réadmission, nous organisons un entretien avec ses parents et son médecin pour essayer de comprendre ensemble ce qui s’est passé.

« Tu es tellement dure… »

Ils sont là tous les trois face à nous. Marilyn baisse la tête et ne dit rien. Sa mère commence à parler puis éclate en sanglots. Elle raconte combien sa fille est dure à la maison. Marilyn refuse de prendre ses repas en famille, de se laver, de se coucher, d’arrêter son ordinateur… Sa mère, qui travaille en horaires décalés, paraît totalement épuisée. Elle crie à sa fille son impuissance: « Dis-moi pourquoi tu me fais ça à moi, alors que je t’ai tout donné. Ton père et moi, nous avons tout fait pour toi. Si tu n’avais pas été ma fille, je t’aurais déjà reniée, Marilyn, tellement tu es dure avec moi. » Le (beau)-père, tête baissée, soupire. Il est chanteur traditionnel et part souvent de longs mois pour des tournées. Débordé, il n’a guère le temps de s’occuper davantage de Marilyn. Mais ce jour-là il nous interroge pour savoir ce qu’elle fait pendant ses journées à l’HDJ. Il demande aussi le nom de sa maladie et pourquoi elle ne sait pas encore lire et écrire.
Le médecin tente de renarcissiser ce père en l’invitant à parler de Marilyn petite et de sa rencontre avec elle. Il sourit et évoque la « petite boule d’un an » qui refusait de marcher et voulait tout le temps être portée. Marilyn lève la tête, surprise. On dirait que c’est la première fois qu’elle entend parler d’elle bébé. Elle suit ensuite tout l’entretien avec intérêt. Sa mère qui s’était caché le visage dans les mains se redresse et s’adresse à nous. « Vous savez, elle a toujours été dure avec moi. Une fois, vers 2 ans, elle a refusé d’aller à la selle pendant plus d’une semaine et se tordait de douleur en se tenant le ventre. On l’a emmenée chez le médecin qui lui a prescrit… (elle cherche le mot) un lavement. Ensuite je l’ai assise sur un grand pot et là (elle se cache le visage) Marilyn, je t’aurais reniée si tu n’avais pas été ma fille… Je n’aurais jamais pu imaginer qu’une enfant garde à l’intérieur d’elle autant de caca… Nous avons vidé trois fois le pot, trois fois, vous imaginez ?… ».
Marilyn regarde sa mère sans dire un mot. Je me tourne vers elle, un peu gênée, mais l’adolescente n’a pas du tout l’air ennuyé. Je réfléchis à cette mère qui par deux fois a parlé de « renier » sa fille. Je pense à Marilyn bébé sur son pot et à cette grande adolescente qui aujourd’hui se braque quand on lui demande son portable. Comment l’aider sans entrer en conflit avec elle? L’HDJ est-il encore thérapeutique ?
Je me souviens de notre médecin qui faisait l’hypothèse il y a déjà deux ans que Marilyn se faisait exclure pour que ses parents viennent nous voir. Au fond, peu importe ce qu’ils disent, l’essentiel est qu’ils se préoccupent d’elle. Pour l’instant, peut-être pouvons-nous seulement « tenir bon » avec Marilyn et ses parents, comme un navire à la dérive espère une mer plus clémente.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Santé mentale, n° 176, mars 2013

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