Réforme de l’isolement et de la contention, un compromis bancal

N° 253 - Décembre 2020
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Les mesures d’isolement et de contention auront désormais des limites de durée précise fixées par la loi, comme préconisé par le Conseil constitutionnel, mais ce texte bricolé risque d’entraîner une abondante jurisprudence…

Les occasions d’enfin prendre le temps de construire un arsenal juridique en santé mentale à la fois protecteur des patients et permettant aux professionnels de santé de travailler de manière éthique se présentent régulièrement au législateur depuis 2011. À chaque fois pourtant, l’exécutif ne s’en saisit pas pour revenir sur l’accumulation de textes disparates qui s’accumulent depuis 1838. Au contraire, il faut toujours attendre qu’un juge (Conseil constitutionnel [1] ou Cour européenne des droits de l’homme) pointe du doigt certaines incohérences ou faiblesses législatives pour que, dans la précipitation, soit déposé devant le Parlement un texte en réaction aux remarques formulées lors d’un contentieux particulier. C’est encore une fois ce qui s’est passé suite à l’obligation de revoir avant le 31 décembre 2020 le texte de l’article L.3222-5-1 du Code de la santé publique concernant les mesures d’isolement et de contention (2).

Triple test de proportionnalité

Considérablement rallongé, le nouvel article L. 3222-5-1 donne l’illusion de fixer un cadre juridique précis, mais il n’est qu’une longue fuite en avant. Le législateur s’est ainsi contenté d’ajouter quelques alinéas à l’article existant, sans tirer les enseignements de l’expérience maladroite mise en œuvre de la loi de 2016 (2). – Il précise au premier alinéa de l’article que « l’isolement et la contention (…) ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement ». Cette mention aura peut-être le mérite de contraindre à modifier le plus rapidement possible le statut administratif des patients « en soins libres » soumis à ce type de mesures en les faisant basculer administrativement en soins à la demande d’un tiers (SDT) ou soins à la demande d’un représentant de l’État (SDR).
– L’article précise ensuite que la décision du psychiatre doit être « motivée » et « uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ». S’il est sans doute utile de rappeler une fois de plus ce qui est déjà écrit ailleurs, alors cet ajout présente l’intérêt pédagogique de fournir au psychiatre les éléments rhétoriques pour justifier son choix (et peut être à en limiter l’usage). Comme pour toute mesure de contrainte, cette triple motivation est très classique en droit, en particulier de la police administrative. Elle permet en cas de contestation devant un juge de s’interroger sur son bien-fondé, en utilisant ce que la doctrine nomme le triple test de proportionnalité : trois conditions cumulatives censées permettre au juge de contrôler non seulement la raison ayant poussé à prendre la décision mais également l’intensité et la durée de celle-ci.
– Dans sa deuxième partie (L.3222-5-1 II), le Parlement a élevé à l’échelon législatif et légèrement modifié ce qui, jusqu’à présent, n’avait qu’une valeur juridique faible, à savoir les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé de 2017 (3). Est désormais codifié que « la mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de douze heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures » « La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de six heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de six heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures ». Outre le fait que ces limites horaires ne reposent sur aucune étude médicale précise, elles n’offrent pas non plus de réelles garanties au patient, tant les modalités de saisine du juge demeurent complexes.
Il est ainsi prévu la possibilité « à titre exceptionnel » de prolonger lesdites mesures. Dans ce cas, le médecin psychiatre « informe sans délai le juge des libertés et la détention ». Cette disposition ne conduira pas nécessairement à un contrôle systématique de la légalité de la mesure. Il faut en effet que le JLD soit « saisi » (et non « informé ») (ou qu’il s’autosaisisse) pour que celle-ci soit contrôlée « dans les 24 heures qui suivent ».

Un article bricolé

En glissant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) un article bricolé sur la base d’un compromis bancal entre différents ministères, la nouvelle mouture de l’article est plus que décevante et conduira de nouveau à des discussions sans fin sur les modalités de sa mise en œuvre. Ce texte, qui risque d’être considéré comme un cavalier législatif (4), ne résout aucune des questions qui divisent la communauté soignante. Il ne garantit pas non plus effectivement le droit des patients et la sécurité juridique. Au contraire. Gageons que nous aurons une abondante jurisprudence sur la question. Preuve s’il en est qu’il est grand temps que le législateur travaille à une vraie réforme du droit de la santé mentale…

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne-Sud

1– Voir « Une nouvelle loi pour l’isolement et la contention? », E. Péchillon, Santé mentale, septembre 2020, p. 11.
2– Article 72 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, né d’un amendement non prévu dans le projet de loi initial (donc non soumis à une étude d’impact préalable).
3– www.has-sante.fr/jcms/c_2055362/fr/isolement-et-contention-en-psychiatrie-generale.
4– Expression qui qualifie un article de loi qui glisse subrepticement des dispositions n’ayant rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi.

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