La réhospitalisation immédiate après une mainlevée judiciaire

N° 257 - Avril 2021
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La Cour de cassation confirme que la mainlevée par le juge des libertés et de la détention d’une mesure d’hospitalisation à la demande d’un tiers ne fait pas obstacle à une nouvelle admission pour péril imminent.

En 2011, la loi (1) a introduit, en complément des motifs d’admissions en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SDT) et sur décision du représentant de l’État (SDRE), le motif de péril imminent (SPI). Cette disposition est prévue lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir la demande d’un tiers, notamment pour des malades isolés, sans entourage connu, ou lorsque les proches ne souhaitent pas être à l’origine de la demande, par exemple pour des raisons affectives. Par ailleurs, le danger immédiat pour la santé ou la vie du patient doit être effectivement caractérisé, sans quoi la décision d’admission prononcée par le directeur d’établissement encourt la censure du juge des libertés et de la détention (JLD), qui doit être saisi dans un délai de douze jours. Bien que le péril imminent soit conçu dans la loi comme un dispositif d’exception, on observe néanmoins en pratique qu’il est fréquemment mobilisé, le plus souvent par nécessité, parfois par facilité.
Dans cette décision récente (2), la Cour de cassation confirme que la mainlevée d’une mesure de SDT pour un manquement à une règle de procédure ne fait pas obstacle à ce que le directeur de l’établissement prononce une nouvelle admission pour ce motif de péril imminent.

Un « détournement de procédure » ?
L’affaire (2) jugée par la Cour de cassation concernait une patiente admise en hospitalisation à temps plein à l’hôpital Sainte-Anne (Paris) à la demande de son père. Saisi du renouvellement de la mesure, le JLD avait ordonné la mainlevée de l’hospitalisation, en raison de l’absence de certificat médical propre à fonder la poursuite de la prise en charge. Estimant que, malgré cette mainlevée judiciaire, l’état de santé de la patiente nécessitait son maintien sous « hospitalisation complète » (c’est-à-dire à temps plein, 3), le directeur de l’établissement a prononcé dans la foulée une nouvelle admission, invoquant un péril imminent, et a saisi le JLD le lendemain d’une demande de prolongation. En première instance comme en appel, le juge a confirmé le maintien de la mesure.
La patiente exerce alors un pourvoi contre la décision d’appel devant la Cour de cassation et fait valoir que le directeur de l’établissement s’est rendu coupable d’un « détournement de procédure » en prononçant son admission sur le fondement de l’existence d’un péril imminent immédiatement après la décision du JLD. Selon elle, le seul but de cette nouvelle admission était d’éviter les effets de l’exécution de la mainlevée et portait atteinte à ses droits fondamentaux, notamment son droit à la liberté et à la sûreté et celui au respect de la vie privée, tous garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle invoquait, en outre, par une interprétation surprenante de l’article L. 3211-12-5 du code de la santé publique, qu’à l’issue d’une mainlevée prononcée par le JLD, l’hospitalisation complète n’était pas possible.

Mainlevée pour procédure et nécessité des soins

La Cour de cassation a rejeté ces arguments et validé la nouvelle admission pour motif de péril imminent.
– Premièrement, elle rappelle qu’« en vertu de l’article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, l’admission d’un patient en soins psychiatriques sans consentement peut intervenir sur décision du directeur de l’établissement, quand, en l’absence de demande d’un tiers, il existe, à la date d’admission, un péril imminent pour la santé de la personne dont les troubles mentaux rendent impossible son consentement et dont l’état mental impose des soins immédiats » (2). Dès lors que ces conditions sont remplies, la nouvelle mesure se justifie, peu importe que le juge vienne de prononcer la mainlevée d’une mesure précédente pour un manquement à une règle de procédure. On s’en doute, il en irait autrement si la mainlevée avait été justifiée par le non-respect de conditions de fond, par exemple si la nécessité d’une surveillance médicale constante de la patiente n’était plus acquise.
– Deuxièmement, l’article L. 3211-12-5, invoqué par la patiente et son avocat, n’était pas applicable à la situation. En effet, ce texte prévoit uniquement que, dans le cas spécifique où le JLD prononce la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète en raison du non-respect des délais, le patient peut, si son état l’exige, faire immédiatement l’objet de soins sous contrainte, sans nécessité de mettre en place à nouveau une période d’observation de 12 heures. Ne visant que l’hypothèse particulière où le juge est saisi au-delà des délais imposés par la loi, cette disposition n’exclut donc en rien la possibilité pour le chef d’établissement de prononcer une nouvelle mesure, y compris d’hospitalisation complète, si les conditions légales en sont réunies et en respectant les conditions de forme et de procédure (présence des certificats circonstanciés, respect des délais, information…).

Paul Véron
Maître de conférences en droit privé, Université de Nantes,
Laboratoire droit et changement social

1– Loi du 5 juillet 2011 n° 2011-803 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. 2– Décision CC du 10 février 2021, n° 19-25.224.