« On ne peut pas exclure les troubles psychiatriques d’une loi sur l’euthanasie »

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Au moment où le Gouvernement présente son projet de la loi sur la fin de vie, qui exclut les troubles psychiatriques graves de l’aide active à mourir (1), le GCS pour la recherche et la formation en santé mentale a rencontré le psychiatre belge P. Oswald. L’occasion de préciser la procédure prévue par la loi euthanasie belge et ses enjeux pour la pratique clinique en psychiatrie.

La Lettre du GCS : Quelle est la procédure prévue par la loi belge de 2002 ?
Pierre Oswald, Directeur du Département médico-psychologique, Centre hospitalier Jean Titeca ASBL, Bruxelles : La loi définit plusieurs étapes. Le patient qui souhaite engager cette procédure doit d’abord en parler à son médecin. Celui-ci doit vérifier que la personne est capable (cette notion n’exclut pas les patients psychiatriques en Belgique) et consciente au moment de la demande. Celle-ci doit être formulée de façon répétée, volontaire et réfléchie, et ne pas résulter d’une pression extérieure. Le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue, faire état d’une souffrance insupportable, ne pouvant être apaisée, et présenter une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Il y a donc trois piliers : le premier est objectif, évalué par le médecin, l’affection sans issue, grave et incurable ; le second, relevant de la subjectivité du patient, c’est la notion de souffrance insupportable ; le troisième est le lien clair devant exister entre cette évaluation médicale et cette souffrance ressentie. Il faut une persistance de la souffrance (on parle d’au moins trois mois pour une affection physique et de six mois à un an dans le domaine psychique) et le médecin doit arriver à la conviction qu’il n’y a pas d’autre solution raisonnable. Une fois ces éléments réunis, le médecin doit recueillir l’avis d’un confrère indépendant. S’agissant du trouble psychique, un troisième avis médical supplémentaire est également requis. Il n’y a pas de passage devant une commission d’éthique ou interdisciplinaire a priori. Une commission d’évaluation peut se réunir après la mesure et transmettre le dossier au parquet si un cas est douteux (ce qui n’est jamais arrivé jusque-là).

S’agissant d’une pathologie psychique, peut-on vraiment considérer que, dans certaines situations, aucun espoir n’est permis quant à l’amélioration de l’état de santé d’une personne ?
Cette notion est au cœur de l’inconfort vécu par les psychiatres en Belgique avec cette réglementation. Certains s’en accommodent en mettant en avant le côté intolérable de la souffrance et considèrent que la notion d’incurabilité de ne doit pas s’appliquer. Ce qui est discutable du point de vue de l’esprit de la loi. La loi calque en fait sur la psychiatrie le modèle biomédical, qui veut qu’une lésion crée des symptômes puis une intervention thérapeutique ou l’absence de soin lorsque cela est impossible. Si ce modèle a permis des avancées thérapeutiques indéniables en psychiatrie, il n’y a pas, dans notre discipline, de lésions organiques attestant l’existence d’un trouble catégoriel et pouvant démontrer l’incurabilité. Le trouble psychiatrique déborde de la médecine classique. Les manifestations des maladies psychiatriques ne se nourrissent pas uniquement de symptômes mais également d’éléments plus impalpables comme la sensibilité ou la spiritualité, et font aussi appel à des notions comme l’espoir. Donc prouver l’incurabilité, si on utilise, comme la loi nous le demande, les outils classiques de la médecine, nous amène, à mon sens, à une grande confusion. Il me semble que l’on ne peut parler d’incurabilité, ni même d’ailleurs de curabilité en psychiatrie. C’est tout l’enjeu de la notion de rétablissement personnel portée par les usagers et leurs aidants basée sur l’empowerment et l’espoir. Il s’agit là à mon sens du point central qui met à mal le concept d’euthanasie pour trouble psychique, qui dans certains cas est une maladie psychique. Les psychiatres qui mettent plutôt en avant le côté intolérable de la souffrance, qui peut effectivement être parfois vraiment violente et s’étendre sur plusieurs décennies, me disent souvent être plutôt favorables au suicide assisté, qui évite qu’un médecin soit responsable d’une mesure dont la portée le dépasse. (…)

Une interview à retrouver dans son intégralité sur le site du GCS, newsletter n°93, avril 2024.

1– Dans le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, l’article 6, qui définit les conditions d’accès à cette aide à mourir, précise « que les personnes dont une maladie psychiatrique altère gravement le discernement lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peuvent pas être regardées comme manifestant une volonté libre et éclairée. »