Reprendre le contrôle ?…

N° 277 - Avril 2023
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Inquiète, la mère de Nicolas frappe à toutes les portes pour alerter sur le mal-être de son fils. Le jeune homme refuse les soins, jusqu’au jour où il rencontre l’infirmière de Nineteen…

A Nineteen, consultation pour jeunes adultes en souffrance psychique, nous sommes souvent interpellés par des parents déboussolés, inquiets et impuissants devant des enfants qui souffrent manifestement de troubles de santé mentale mais refusent de consulter… Notre rôle se borne alors à écouter, conseiller, orienter… Ainsi, cette mère, assistante sociale à la mairie, m’appelle régulièrement pour me parler de son fils Nicolas, 17 ans. Il « va mal » depuis des mois, ne se rend plus en cours, et reste seul dans sa chambre, à fumer du cannabis toute la journée. Quand elle le sollicite pour sortir, il peut se montrer violent verbalement. Il lui hurle au visage, mais ne la frappe pas. Elle précise toutefois qu’il a déjà cassé une porte, dans un état de grande d’agitation. J’invite cette femme à contacter le Centre médico-psychologique (CMP) de son secteur, qui peut intervenir à domicile. Quelques jours plus tard, ce sont les urgences de l’hôpital qui me joignent pour recueillir des informations sur cette situation. La maman de Nicolas est venue leur parler de son fils : un soir, il est rentré complètement trempé, elle pense qu’il est tombé dans la Seine et s’inquiète de plus en plus. Elle ne sait pas s’il a sauté ou a été poussé par quelqu’un. Le jeune homme refuse toujours de consulter.
Je n’entends plus parler de Nicolas pendant presque un an, jusqu’au jour où un jeune homme de 18 ans prénommé ainsi appelle pour solliciter un rendez-vous. Je lui glisse qu’il me semble avoir entendu parler de lui. Il soupire et me dit qu’il vient pour autre chose.

« Je te rends coup pour coup »
Une semaine plus tard, Nicolas pousse la porte du bureau infirmier. C’est un grand jeune homme sympathique et souriant. Il commence d’emblée l’entretien en me disant qu’il a peur. « J’ai frappé ma copine la semaine dernière, après une soirée très alcoolisée avec des potes ». Très ému, honteux, il confie qu’il craint de devenir « comme son père », alcoolique et violent.
Je découvre une histoire qui n’est pas tout à fait celle que j’avais en tête. Nicolas vit chez ses parents. Il a une grande sœur de 27 ans, qui travaille et habite avec son compagnon. La situation familiale est compliquée, son père est alcoolique, violent, au chômage et le roue de coups depuis son enfance sous les yeux de sa mère. Celle-ci a tenté plusieurs fois de se séparer de son mari, sans jamais aller au bout de ses démarches. Nicolas décrit des gifles et des coups de son père depuis l’âge de 4 ans, jamais signalés à l’Aide sociale à l’enfance. Les violences ont cessé vers ses 16 ans, le jour où il a dépassé son père en taille et a pu arrêter la main qui voulait le frapper. « Celle-là, c’est la dernière, si tu recommences à me taper, je te rends coup pour coup ». L’air dur, le jeune homme regarde au loin. Il raconte une adolescence émaillée de bagarres en classe, de harcèlement scolaire et de fugues quand il ne pouvait plus supporter son père.
Tout doucement, Nicolas revient sur sa violence à lui. Ce soir-là, il avait bu de nombreux whiskies, ça lui arrive parfois quand il se sent mal, quand il pense trop à son père qui le battait et à qui l’alcool « faisait tout oublier », « il avait même des trous noirs », souligne Nicolas. Or, le jeune homme ne se souvient plus de cette soirée fatidique. Son amie lui a dit qu’il l’avait insultée et giflée, puis l’avait traitée de démon. Il a donné des coups de poing dans les murs, renversé la table, jeté tous les livres… La jeune fille est sortie, le laissant seul et l’a retrouvé endormi sur le sol le lendemain. Nicolas ne se souvenait plus de rien. Elle lui a tout raconté, lui a demandé de partir et de ne plus jamais revenir.

« Je passe à côté de ma vie »
Nicolas veut être aidé pour arrêter sa consommation d’alcool. Ensemble, nous appelons la Consultation jeune consommateur, qui lui propose un rendez-vous avec une psychologue dès la semaine suivante. Il semble soulagé, son visage s’éclaire et il me dit qu’il a hâte. « J’ai l’impression de passer à côté de ma vie, j’aimerais reprendre le contrôle »… Il a des projets professionnels : il sculpte le bois depuis l’adolescence, et a trouvé récemment un stage d’ébénisterie avec la Mission locale, ce qui lui permet d’apprendre des nouvelles techniques. Il confie à quel point les activités manuelles lui permettent de se poser et d’être lui-même.
Nicolas n’en veut pas à ses parents. Il a surtout envie de tourner la page, de gagner sa vie pour partir de chez lui. Il a déjà fait la moitié du chemin et a besoin d’aide pour arrêter l’alcool et mieux contrôler sa consommation de cannabis.