Affaire Romain Dupuy : l’impossible sortie d’UMD…

N° 270 - Septembre 2022
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Depuis plusieurs années, le corps médical préconise la sortie de Romain Dupuy de l’Unité pour malades difficiles (UMD) de Cadillac, où il est pris en charge depuis 2007. La Préfecture de Gironde refuse. Ce patient a déposé une requête auprès du Juge de liberté et de la détention (JLD), qui a prononcé en juin 2022 une mainlevée, tandis que la Cour d’appel s’y oppose.

Le juge judiciaire (1), en l’occurrence ici le juge des libertés et de la détention, n’est pas compétent pour prononcer la mainlevée du placement d’un patient psychiatrique en « unité pour malades difficiles » (UMD) (2). Dans cette nouvelle décision de juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux confirme une position dégagée un an plus tôt (3).

Une affaire hors norme

En 2007, Romain Dupuy, qui souffre de schizophrénie de type paranoïde, est déclaré irresponsable pénalement pour le meurtre de deux soignantes au Centre hospitalier psychiatrique de Pau. Depuis, il fait l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement et est soigné à l’UMD de Cadillac (Gironde). À quatre reprises, entre janvier 2018 et mai 2022, la commission de suivi médical, chargée d’apprécier la justification médicale de son maintien en UMD, estime que cette mesure n’est plus adaptée à son état de santé et préconise une prise en charge (toujours en soins sans consentement) en service de psychiatrie ordinaire. Bien que lié par les avis de la commission, le Préfet de Gironde, légalement compétent pour prononcer tant l’admission que la sortie du patient de l’UMD, s’oppose au transfert du patient hors de cette unité, invoquant un risque de trouble à l’ordre public, en particulier celui d’une nouvelle consommation de stupéfiants, qu’il s’agit de prévenir.

Pour contourner le refus illégal du Préfet, le patient a demandé au Juge des libertés et de la détention (JLD) de prononcer la mainlevée de son placement en UMD. Le juge de première instance, de manière inédite, a reconnu sa propre compétence et fait droit à la demande, au motif que « si le juge judiciaire ne dispose pas de la possibilité de prononcer un transfert car il n’a pas de possibilité de gestion des établissements de santé, il dispose du contrôle de légalité et de sa sanction, la mainlevée » (4). La Cour d’appel de Bordeaux a infirmé ce jugement (2) : « La compétence du juge judiciaire ne peut être qualifiée de générale et absolue » et son contrôle « n’a pas vocation à être exercé pour ce qui concerne les décisions administratives de mainlevée d’une UMD ». En l’état des textes, la compétence du JLD se limite donc au contrôle des seules mesures administratives d’admission ou de maintien sous un régime de soins psychiatriques sans consentement (5), ainsi que, désormais, des mesures d’isolement ou de contention imposées aux malades, puisque le législateur l’a expressément prévu (6). L’admission en UMD est, il est vrai, une décision administrative distincte de l’admission en soins psychiatriques sans consentement. Elle est prononcée par le Préfet pour des patients « dont l’état de santé requiert la mise en oeuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières » (7). Elle ne peut concerner que des malades admis en soins sans consentement sur décision du représentant de l’État ou déclarés irresponsables

pénalement.

Un imbroglio juridictionnel

La compétence revient-elle alors au juge administratif (8), comme le suggère l’ordonnance ici commentée ? Certes, ce juge s’est reconnu compétent notamment pour contrôler les décisions de transfert d’un patient au sein d’un autre établissement psychiatrique (9) ou encore les autorisations de sortie des malades. Pour autant, dans cette même affaire, le tribunal administratif, saisi en référés, s’est déclaré incompétent pour faire injonction au préfet de Gironde de prononcer la sortie de Romain Dupuy de l’UMD, en faisant valoir la compétence de l’ordre judiciaire…

Dans ce contexte, on peut regretter que le juge d’appel n’ait pas fait preuve de la même audace interprétative que le juge de première instance, afin de débloquer une situation illégale, injuste et préjudiciable au patient (coupe conditions). Au refus illégal du Préfet s’ajoute un regrettable imbroglio juridictionnel.

L’affaire Romain Dupuy, particulièrement médiatisée, donnera- t-elle lieu, comme en matière d’isolement-contention, à une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC), en raison de l’insuffisance des garanties juridictionnelles offerte à la personne hospitalisée en psychiatrie ?

Paul Véron
Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes, Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)

1– La Constitution institue l’autorité judiciaire en « gardienne de la liberté individuelle » (article 66), chargée de contrôler la justification des mesures privatives de liberté imposées par l’autorité publique.
2– CA Bordeaux, ord., 17 juin 2022, n° 22/02802.
3– CA Bordeaux, 12 mai 2021, n° 21/00649.
4– TJ Bordeaux, ord. 9 juin 2022, n° 22/00978.
5– L. 3211-12-1 CSP.
6– L. 3222-5-1 CSP.
7– R. 3222-1 CSP.
8– Le juge administratif intervient dans les litiges entre individus et administration.
9– CE, 13 mars 2013, n° 342704.