Irresponsabilité pénale : un décret « inacceptable » pour de nombreux acteurs

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« Une atteinte grave aux droits des patients », une « contrainte démesurée ». Dans un communiqué commun (ci-dessous), plus d’une trentaine d’acteurs de la psychiatrie dénoncent une « dérive inquiétante » après la parution du décret d’application de la réforme de l’irresponsabilité pénale. Publié au Journal officiel du 26 avril, le texte précise les modalités selon lesquelles une personne déclarée irresponsable pénale peut néanmoins être jugée, notamment en cas d’intoxication volontaire et d’« arrêt d’un traitement médical ».

La Commission nationale de la psychiatrie souligne l'unanimité de la profession dans le rejet du texte 
La vague d'indignations soulevée par la formulation de ce décret d'application s'amplifie. Ainsi, la sous-commission de psychiatrie légale de la Commission nationale de psychiatrie (CNP) s'est réunie le 3 mai, et a demandé par la suite « en urgence » au Gouvernement de supprimer la notion de « l'arrêt des traitements » dans la notice du décret. Elle pointe que la loi à l'origine de ce décret d'application de la procédure pénale propose « d'étudier le rôle des substances psychoactives dans un passage à l'acte et ne porte pas sur l'arrêt d'un traitement médical, quelle que soit la nature de ce traitement. » Elle dénonce une formulation « inapproprié et contraire aux termes de la loi, mais qui ouvre à des litiges et des interprétations diverses et stigmatise une nouvelle fois les personnes souffrant d’un trouble mental ». 

« Nous découvrons avec stupeur et consternation le décret N°2022-657 d’application de la loi publiée fin janvier, réformant le régime de l’irresponsabilité pénale en cas de consommation de produits psychoactifs. Dans son préambule ce décret introduit une petite phrase lourde de conséquences, précisant que l’article 706-120 du CPP s’applique « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne constitutive de ces nouvelles infractions, mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical. » Contrairement au projet initial, il a été rajouté une deuxième circonstance pouvant conduire à la responsabilité du patient à savoir l’arrêt de son traitement médical.

Nous déplorons qu’un décret si lourd de conséquences pour les patients n’ait pas été concerté en amont avec les professionnels, les usagers et leurs familles. L’introduction dans ce décret d’application de la notion d’arrêt du traitement médical qui n’existe pas dans le Code de Procédure Pénale représente une régression et n’est pas admissible d’autant que le Conseil d’Etat dans son avis sur la loi rendu en juillet 2021 spécifiait sur cette question : « l’arrêt du traitement psychoactif ne pourra pas davantage être incriminé ».

Pourtant l’exécutif a choisi de pénaliser l’arrêt du traitement et établit de fait un lien de causalité entre cet arrêt et le passage à l’acte. Ce point constitue d’une part un raisonnement simplificateur concernant la dynamique d’un passage à l’acte et d’autre part ne tient pas compte du fait que les patients n’ont pas toujours conscience de leurs troubles ce qui est une caractéristique de certaines maladies mentales. L’arrêt du traitement n’intervient pas alors suite à l’exercice de la libre volonté du patient. Garder cette disposition revient à accepter de punir les patients parce qu’ils sont malades.

Cet ajout constitue par ailleurs une atteinte grave aux droits du patient. Tout patient a le droit de choisir de suivre ou non un traitement médicamenteux. De nouveau les personnes souffrant de troubles psychiques sont stigmatisées et n’ont plus cette liberté élémentaire. Cela créée une contrainte démesurée pour les patients souffrant de troubles psychiques à moins que la prochaine étape soit de pénaliser l’arrêt par exemple des traitements anti diabétiques ou anti-épileptiques …

Nous dénonçons avec la plus grande force cette dérive inquiétante contraire aux droits et libertés et
qui stigmatise une fois de plus les personnes vivant avec des troubles psychiques. »

Signataires :
– Laurent BEAUMONT, Président de l’Association Nationale des Responsables Qualité en PSYchiatrie (ANRQPSY)
– Marie BUR, Marc FEDELE, Pascale GIRAVALLI, Co-Présidents de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP)
– Jean-François CIBIEN, Président d’Action Praticiens Hôpital (APH)
– Marie-José CORTES, Présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)
– Sabine DEBULY, Présidente du Conseil National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie (CNPP)
– Claude FINKELSTEIN, Présidente de la Fédération Nationale des Associations d’usagers en Psychiatrie (FNAPSY)
– Claude GERNEZ, Président de la Fédération Française de la Psychiatrie (Fédépsychiatrie)
– Delphine GLACHANT, Présidente de l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)
– Thierry GODEAU, Président de la Conférence nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement de
Centres Hospitaliers
– Béatrice GUINAUDEAU, Présidente de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé – Syndicat National des Psychiatres Privés (AFPEP – SNPP)
– Ilia HUMBERT, Présidente de l’Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie (AFFEP)
– Christophe LIBERT, Président de l’Association des Psychiatres de secteur Infanto-juvénile (API)
– Emmanuel LOEB, Président de Jeunes Médecins
– Pascal MARIOTTI, Président de l’Association des Etablissements du service public de Santé Mentale (AdESM)
– Gladys MONDIERE, Présidente de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP)
– Nidal NABHAN ABOU et Mathieu LACAMBRE, Co-Présidents de la section psychiatrie légale de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et Neuropsychopharmacologie (AFPBN)
– Annick PERRIN-NIQUET, Présidente du Comité d’Etudes des Formations Infirmières et des Pratiques en Psychiatrie (CEFI-Psy)
– Marie-Noëlle PETIT, Présidente de l’Association Nationale des Psychiatres Présidents et Vice-Présidents de Commissions Médicales d’Etablissements des Centres Hospitaliers (ANPCME)
– Carole POUPON, Présidente de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux (CPH)
– Marie-Jeanne RICHARD, Présidente de l’Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (UNAFAM)
– Christophe SCHMITT, Président de la Conférence nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement de Centres Hospitaliers Spécialisés
– Sabine DEBULY, Présidente du Conseil National Professionnel de Psychiatrie (CNPP)
– Déborah SEBBANE, Présidente de l’Association des Jeunes Psychiatres et des Jeunes Addictologues (AJPJA)
– Norbert SKURNIK, Président de l’Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)
– Olivier TELLIER, Président de l’Association française des Unités pour Malades Difficiles (UMD)
– Michel TRIANTAFYLLOU, Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)
– Pierre VIDAILHET, Président du Collège National des Universitaires de Psychiatrie (CNUP)