Irresponsabilité pénale pour trouble mental : que prévoit la réforme ?

N° 264 - Janvier 2022
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La réforme exclut l’irresponsabilité pénale en cas d’intoxication volontaire en vue de commettre une infraction et crée un nouveau délit pour cette intoxication.

Le Parlement a adopté, le 16 décembre 2021, la version définitive du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure (1). Ce texte comporte des évolutions concernant la responsabilité des auteurs d’infractions commises sous l’empire d’un trouble mental.

Le projet de loi avait été déposé au cours de l’été dans le contexte de l’affaire Sarah Halimi. Le 4 avril 2017, cette femme de 65 ans avait été rouée de coups puis défenestrée par un de ses voisins qui s’était introduit dans son appartement, au cours d’un épisode délirant déclenché par une forte consommation de cannabis. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris avait, le 19 décembre 2019, retenu les qualifications de séquestration et de meurtre aggravé en raison d’un mobile discriminatoire (antisémitisme) tout en déclarant l’auteur des faits irresponsable pénalement en raison d’une abolition du discernement. Trois expertises ordonnées avaient en effet conclu à l’existence d’une bouffée délirante aiguë au moment du meurtre. Contrairement aux deux dernières, la première avait néanmoins exclu l’abolition du discernement au motif que le trouble avait pour origine exclusive une consommation volontaire et régulière de cannabis. La Cour de cassation validait pourtant le raisonnement de la cour d’appel selon lequel « la circonstance que cette bouffée délirante soit d’origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis ne fait pas obstacle à ce que soit reconnue l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », en rappelant que « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de son discernement » (2). L’émoi et les polémiques suscitées par cette affaire fortement médiatisée ont conduit le législateur à modifier le régime de l’irresponsabilité pénale pour trouble mental. Deux évolutions principales doivent être observées.

Une restriction du champ de l’irresponsabilité pénale

L’article 122-1 du Code pénal distingue deux hypothèses : d’une part, celle de l’abolition du discernement, cause d’exclusion totale de la responsabilité pénale (1er al.), et d’autre part celle de la simple « altération » du discernement, qui, sans exclure la responsabilité de l’auteur, peut conduire à une diminution de la peine qui lui est infligée (2e al.). La réforme apporte un tempérament à ces deux mécanismes.

– Premièrement, un nouvel article 122-1-1 exclut l’irresponsabilité pénale lorsque « l’abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission ». Dans ce cas, l’auteur a bien l’intention de commettre l’infraction et la consommation de stupéfiants est censée faciliter son passage à l’acte, parce qu’elle entraîne une désinhibition, altère la perception des risques et/ou donne à l’intéressé un sentiment de toute-puissance. De telles drogues sont parfois utilisées par les auteurs d’actes de terrorisme et d’attentat suicide. Il s’agit bien d’une dérogation aux dispositions précédentes, parce qu’on admet ici qu’un individu puisse être déclaré responsable alors même qu’au moment des faits (moment les coups mortels sont portés), il n’était pas en mesure de comprendre la portée de ses actes et le caractère infractionnel de son comportement. Cette exception ne correspond cependant pas à la situation du meurtrier de Sarah Halimi, qui avait certes volontairement consommé ce jour-là, et comme à son habitude, de fortes doses de cannabis, mais sans projet de commettre un homicide.

– Deuxièmement, un nouvel article 122-1-2 exclut l’atténuation de la responsabilité de l’auteur pour « altération temporaire du discernement ou du contrôle de ses actes » au moment de l’infraction lorsque cette altération « résulte d’une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives ». Cette fois, le texte n’exige pas spécifiquement que l’auteur ait consommé lesdites substances dans un but criminel. Il vise d’ailleurs une « infraction » sans plus de précision, ce qui peut englober des infractions intentionnelles (homicide ou violences volontaires, viol, tortures) ou non (homicide ou violences involontaires). L’idée est qu’il serait injuste de faire bénéficier d’une atténuation de responsabilité une personne ayant adopté une conduite à risque manifeste, qui plus est dans un contexte où la consommation de certains produits est par ailleurs une circonstance aggravante de certaines infractions (l’homicide involontaire est ainsi puni plus sévèrement lorsqu’il est consécutif à une conduite en état d’ivresse). La faute du consommateur de stupéfiants le prive du bénéfice de limitation de responsabilité pénale malgré son discernement altéré au moment des faits reprochés. L’application de ce texte pourrait malgré tout s’avérer délicate et le pouvoir d’individualisation dont dispose le juge sera ici essentiel. Que ­penser, notamment, des personnes sujettes à une addiction profonde et durable dont elles ne parviennent pas à sortir ? L’idée de « consommation volontaire » ne sera-t-elle pas dans certains cas, discutable ?

Une nouvelle infraction « intermédiaire »

En dehors de l’exception prévue à l’article 122-1-1, le législateur n’a pas remis en cause la possibilité pour le juge de déclarer irresponsable pénalement l’auteur d’un homicide dont le discernement a été aboli au moment des faits, même lorsque cette abolition résulte d’une intoxication volontaire. La réforme introduit dans le Code pénal un délit spécifique d’atteinte à la vie résultant d’une intoxication volontaire, dont la formulation est particulièrement complexe. Un nouvel article 221-5-6 précise : « Est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un homicide volontaire dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1 ».

On l’aura compris, il ne s’agit pas de réprimer le crime commis par la personne privée de discernement mais de punir avec une sévérité particulière la consommation volontaire de stupéfiant ayant précédé et provoqué ce crime. La peine maximale encourue de dix ans est ici sans commune mesure avec celle encourue par le simple consommateur de stupéfiant. Il est vrai, par ailleurs, que d’autres qualifications pénales plus traditionnelles étaient déjà envisageables, notamment l’homicide involontaire. Dès lors qu’il est établi que la consommation de stupéfiants est fautive et qu’il est démontré qu’elle a contribué à causer le comportement violent à ­l’origine du décès de la victime, l’homicide involontaire peut être retenu. Toutefois, la peine encourue est là encore moins sévère, ce qui explique la création de cette nouvelle infraction « intermédiaire », censée répondre aux attentes des familles de victimes – leur donnant le sentiment qu’un crime odieux ne reste pas impuni – sans sacrifier le principe selon lequel il n’y a pas lieu de juger un individu privé de libre arbitre.

Lorsque les faits pour lesquels le consommateur de stupéfiants a été déclaré irresponsable ne consistent pas dans un homicide volontaire mais dans une atteinte à l’intégrité physique (des tortures et actes de barbarie ou violences), la réforme prévoit des peines moins lourdes, en fonction de la gravité de l’atteinte (3). Dans le même esprit, un autre texte incrimine l’intoxication volontaire précédant un viol (4).

Enfin, les peines pour ces différentes infractions sont aggravées lorsque l’auteur a déjà été, précédemment, déclaré irresponsable pénalement pour un homicide volontaire sur le fondement de l’article 122-1 « en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique provoqué par la même consommation de substances psychoactives ». Une manière de punir plus sévèrement le récidiviste qui commet à nouveau un meurtre, se livre à des violences ou un viol suite à une nouvelle intoxication volontaire.

Et en pratique ?…

Il n’est toutefois pas certain que cette nouvelle infraction d’intoxication volontaire tienne ses promesses. Pour que l’auteur puisse être condamné, il faudra que le ministère public démontre qu’il avait « connaissance du fait que cette consommation [de substances psychoactives] est susceptible de [le] conduire à mettre délibérément autrui en danger ». Dans certaines hypothèses, cette preuve pourra être rapportée, par exemple en présence d’un individu se montrant régulièrement violent sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue (violences conjgales ou intra-familiales), a fortiori s’il a déjà eu affaire à la justice. Pour d’autres, la preuve sera plus difficile à rapporter.

S’agissant du meurtrier de Sarah Halimi, s’il ne peut certes aujourd’hui plus ignorer ce risque, pouvait-on considérer qu’il était en mesure d’anticiper, en raison d’une consommation habituelle de cannabis (10 à 15 joints par jour depuis l’âge de 16 ans), la survenance d’une bouffée délirante avec épisode hétéroagressif ? Par ailleurs, il faut bien constater qu’en pratique, les auteurs d’homicides déclarés irresponsables sont souvent hospitalisés sous contrainte pour une durée prolongée. De fait comme de droit, ils sont privés de liberté, même s’il ne s’agit pas d’une peine. C’est le cas du meurtrier de Sarah Halimi. Quant à Romain Dupuy (5), auteur du meurtre de deux soignantes à Pau en 2005, il entamera bientôt sa 17e année en Unité pour malades difficiles (UMD). L’équilibre doit-il être systématiquement recherché dans une réforme de la loi pénale et une aggravation de ses sanctions ?

Paul Véron
Maître de conférences, Université de Nantes
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)

1– Projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, dossier disponible sur le site de l’Assemblée. La loi est en attente d’examen par le Conseil constitutionnel puis de publication au Journal officiel.
2– Cass. crim., 14 avril 2021, n° 20-80.135
3– art. 222-18-4 CP.
4– art. 222-26-2 CP.
5– L’affaire Romain Dupuy, également connue sous le nom de « Drame de Pau », est survenue dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004 à l’hôpital psychiatrique de Pau où l’aide-soignante Lucette Gariod, 40 ans, et l’infirmière Chantal Klimaszewski, 48 ans, ont été tuées dans un bâtiment de l’institution. L’auteur des faits, souffrant de schizophrénie paranoïde et déclaré irresponsable pénalement, est depuis janvier 2005 hospitalisé sans consentement au sein de l’unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac, en Gironde.