La douleur de Rebecca

N° 263 - Décembre 2021
FacebookTwitterLinkedInEmail

À 18 ans, Rebecca vit dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance. Elle confie son parcours émaillé de carences et d’abandon et sa profonde souffrance. Comment l’aider ?…

Rebecca, 18 ans, est une jeune femme d’origine africaine, toute menue (environ 1,60 mètre pour 40 kg). Elle vit dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) depuis un an, suite à des carences familiales. Un frère handicapé a été diagnostiqué schizophrène. Depuis quelques mois, Rebecca se pique les doigts avec des épingles quand elle est triste et évoque des envies de mourir. Le médecin généraliste lui a prescrit des antidépresseurs, qu’elle ne prend pas, et l’a orientée vers la consultation Nineteen (1).
C’est ainsi que je la reçois quelques semaines plus tard, en présence d’une psychologue de l’ASE. Rebecca me raconte très simplement un parcours de dénuement et d’abandon. Juste avant l’été 2020, sa mère est partie « au pays », laissant seuls ses trois enfants, comme elle le faisait souvent. Cette fois-ci, ça a duré très longtemps, le lycée a repris et sa mère n’était toujours pas rentrée. Environ une fois par semaine, une tante apportait quelques provisions, sans s’attarder. Le lycée et le collège ont fait un signalement pour enfants en danger et le juge a ordonné un placement d’urgence. Rebecca me raconte la peur omniprésente dans sa vie, peur de mourir de faim, de froid, du manque d’argent… Aujourd’hui, elle rencontre sa mère une fois par mois en présence d’un médiateur de l’ASE et l’appelle chaque semaine. « Ma mère me parle de gens qui sont morts et que je ne connais pas, ça m’énerve. »
Rebecca est en colère. C’est pour ça qu’elle se blesse, pour que cette colère sorte, lui fasse mal. « Parfois aussi, j’enlève mes chaussures et mes chaussettes et je cours dehors pieds nus, jusqu’à ce que j’aie si mal que je ne sente plus mes pieds. »
Je lui explique doucement que ce n’est pas normal d’être triste comme ça, que je pense qu’elle est déprimée et a besoin du traitement… Au cours de ce premier rendez-vous, sa naïveté et sa douleur me touchent. Je lui dis que nous allons l’aider, et lui propose de la revoir bientôt. La psychologue l’accompagne à la pharmacie et Rebecca commence son traitement.

« Un repas entier, c’est trop »
Nous décidons en équipe d’orienter la jeune fille vers le Centre médico-psychologique (CMP), qui pourra la suivre à long terme à la fois sur les plans psychiques et somatiques. Dans l’attente du premier rendez-vous, je lui propose un soutien infirmier. Rebecca évoque son poids, qui préoccupe le généraliste. Au foyer, elle n’arrive pas à finir ce qu’on lui sert et se sent coupable. « Vous vous rendez compte, une assiette pleine, mais je n’avais jamais vu ça, moi… À la maison on mangeait surtout des morceaux de pain, alors, un repas entier, c’est trop, beaucoup trop, je ne pourrais jamais avaler ça !… »
Elle découvre les goûts, le sucré, le salé, comme une enfant. « En temps normal, je préfère le salé mais là, j’ai goûté un chausson aux pommes, un pain suisse et un éclair au chocolat !… C’était bon ! Peut-être je préfère le sucré finalement, ou alors ce sont les médicaments qui font ça… »
Nous évoquons son traitement, qu’elle prend régulièrement, mais qui lui donne des nausées. Je me rends compte qu’elle avale son comprimé le matin, sans manger, et lui conseille de boire un verre de lait avec.
Au rendez-vous suivant, Rebecca, plus en confiance, me confie sa crainte d’être abandonnée, elle aimerait que les éducateurs du foyer deviennent sa nouvelle famille. Elle voudrait me voir toujours et je lui rappelle le cadre ponctuel de nos entretiens. « Tout le monde change autour de moi, j’aimerais que les gens ne changent pas. »

« Ça va bien se passer »
Rebecca cherche sa place, elle ne sait pas ce qu’elle aime, questionne son identité. « Au lycée, des filles m’ont dit que je n’étais pas une vraie Africaine, parce que je n’ai pas d’accent. Il y a plein de trucs que je ne connais pas, pour elles, je ne suis pas une vraie Noire. Mais je vivais en Afrique quand j’étais petite, on faisait beaucoup de grandes fêtes. Et puis les filles m’ont dit que ça ne se fait pas de dire que je n’aime pas ma mère, que c’est des choses qu’on n’a pas le droit de dire. »
Est-ce la déception de savoir que le suivi ne durera pas ? Rebecca oublie le rendez- vous suivant. Au téléphone, elle indique qu’elle continue les médicaments et les supporte bien. Elle a bien l’intention d’aller au rendez-vous du CMP avec la psychologue. Je l’encourage : « C’est un peu différent, mais ça va bien se passer, Rebecca, vous verrez ».
Ces entretiens infirmiers ont permis de tisser un premier lien avec Rebecca. Ils inaugurent les soins et instaurent une relation de confiance, qui se poursuivra ailleurs…

Virginie De Meulder
Infirmière, Consultation Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.

1- Accueil de première ligne pour adolescents et jeunes adultes en souffrance psychique.