Le rapport sur l’irresponsabilité pénale est publié

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Le 23 avril dernier, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice a reçu officiellement de Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, deux anciens présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale, avocat et ancien avocat de profession, le rapport sur l’irresponsabilité pénale ; un rapport commandé par Nicole Belloubet en février 2020 et directement en lien avec l’affaire Sarah Halimi. Si les rapporteurs estiment qu’il n’est pas nécessaire de modifier le texte actuel, ils formules 22 recommandations d’améliorations. Le Gouvernement présentera cependant un projet de loi fin mai en Conseil des ministres.

Ce rapport a été achevé en février 2021. Cependant, selon le communiqué du ministère de la Justice, « il avait été jugé préférable d’attendre l’aboutissement du pourvoi formé devant la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi avant de le rendre public pour ne pas interférer avec les débats judiciaires alors en cours« . Rappelons que ce crime perpétré le 4 avril 2017, avait fortement ému l’opinion publique, son auteur étant en effet en proie à un épisode délirant consécutif à la consommation de cannabis. Interpellé immédiatement, il avait été placé en hôpital psychiatrique par décision du représentant de l’Etat, considérant son état comme « incompatible avec une garde à vue« .

Dans leurs conclusions, les rapporteurs ont retenu qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’article 122-1 du code pénal sur l’irresponsabilité pour trouble psychique ou neuropsychique. Ils formulaient en revanche diverses propositions (au nombre de 22, cf. encadré ci-dessous) d’améliorations techniques du dispositif issues de la loi de février 2008 qui a créé une audience durant laquelle la chambre de l’instruction, constatant l’irresponsabilité, se prononce toutefois sur la réalité des faits commis et sur les mesures de sureté nécessaires.

Le garde des Sceaux a « remercié les rapporteurs pour leur travail et leur a assuré que les dispositions d’amélioration de la procédure de la loi de 2008, de nature à rendre le dispositif plus respectueux de l’état de santé parfois très altéré des mis en cause, seraient rapidement mises en œuvre par voie réglementaire. »

Par ailleurs, depuis la rédaction de ce rapport, l’arrêt de la Cour de cassation rendu le mercredi 14 avril dans l’affaire Sarah Halimi a souligné que « la loi sur l’irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer« .

« Conformément donc à la demande du Président de la République, le Gouvernement a choisi de répondre à la main tendue de la Cour de cassation ».

Aussi le ministre de la Justice a-t-il affirmé aux rapporteurs que « la France ne jugerait jamais les fous. Pour autant il faut tirer les conséquences de la décision de la Cour de cassation qui constate l’absence de possibilité offerte par le droit actuel de tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l’abolition de son discernement. Le Gouvernement présentera donc fin mai en Conseil des ministres un projet de loi pour combler ce vide juridique dans la perspective d’une adoption par le parlement à l’été. « 

Liste des recommandations

Recommandation n° 1. Permettre au cours de l’instruction la transmission au représentant de l’État de l’expertise concluant à l’abolition du discernement pour rendre possible pendant l’instruction des mesures de soins sans consentement décidées par le représentant de l’État.
Recommandation n° 2. Permettre au président de la chambre de l’instruction d’ordonner avant l’audience tout complément d’expertise opportun.
Recommandation n° 3. Conférer au président de la chambre d’instruction le pouvoir de commettre un expert pour pouvoir décider des conditions de la comparution personnelle de l’intéressé.
Recommandation n° 4. Permettre la comparution de la personne mise en examen par visioconférence, dans des situations particulières, dans le strict respect des droits de la défense et de son droit de s’opposer à cette forme de comparution.
Recommandation n° 5. Préciser et consolider la procédure particulière de l’audience devant la chambre de l’instruction en matière d’irresponsabilité pénale pour cause d’abolition du discernement notamment en incluant la notification à la personne mise en examen de son droit au silence et en précisant le régime applicable aux écritures des parties.
Recommandation n° 6. Organiser la citation aux frais de l’État d’un nombre limité de témoins, à la demande des parties.
Recommandation n° 7. Prévoir l’obligation d’entendre la partie civile, si elle le demande.
Recommandation n° 8. Permettre à la juridiction d’ordonner des soins psychiatriques sans consentement sans hospitalisation complète, en cas de décision d’irresponsabilité pénale pour cause d’abolition du discernement.
Recommandation n° 9. Prévoir la possibilité d’ordonner à titre de mesure de sûreté l’interdiction de sortir sans autorisation du territoire national.
Recommandation n° 10. Prévoir la possibilité d’ordonner à titre de mesure de sûreté une obligation de soins.
Recommandation n° 11. Préciser que la chambre de l’instruction est compétente pour se prononcer sur la responsabilité civile et statuer sur les demandes de dommages intérêts pour autant qu’ils soient immédiatement ou rapidement évaluables. Dire qu’elle peut, s’agissant de préjudices complexes, ordonner le renvoi devant la juridiction spécialisée du premier degré (le tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils), en tout état de cause ordonner une expertise avant-dire droit et allouer une provision.
Recommandation n° 12. Optimiser l’alimentation et l’exploitation du répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires.
Recommandation n° 13. Organiser le recensement des décisions de classement sans suite et d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et de leurs suites au niveau sanitaire .
Recommandation n° 14. Améliorer la formation des experts par la création d’un DESC et/ou de diplômes de troisième cycle.
Recommandation n° 15. Permettre la comparution d’un seul expert, sauf en cas d’avis divergents.
Recommandation n° 16. En cas d’impossibilité de comparution, permettre de passer outre à l’indisponibilité des experts en procédant à la lecture de leurs rapports.
Recommandation n° 17. Relancer le dialogue social avec les experts dans l’objectif de parvenir à une tarification unique de l’expertise psychiatrique et à une harmonisation du statut de l’expert.
Recommandation n° 18. Créer un groupe de travail visant à la détermination de types d’expertises psychiatriques et à la rédaction des missions afférentes.
Recommandation n° 19. Compléter les missions d’expertise psychiatrique par une question spécifique destinée à caractériser les conditions d’une prise de toxique lorsque celle-ci a entrainé un trouble du discernement ou du contrôle des actes.
Recommandation n° 20. Intégrer dans la mission type proposée aux juridictions des questions sur l’actualisation du rapport d’expertise initial et celle permettant l’application de l’article 706-135 du CPP relatif aux mesures de sûreté.
Recommandation n° 21. Conserver la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal.
Recommandation n° 22. Mettre en place une conférence de consensus avec l’organisation du suivi des recommandations par une structure santé-justice.

Lire le rapport (PDF)

Voir le communiqué du Ministère de la Justice