Conserver le dossier médical

N° 233 - Décembre 2018
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Le droit contraint les établissements de santé à conserver les dossiers médicaux durant 20 ans. En cas de contentieux, la perte de ces données conduit le juge à présumer de la faute invoquée par le requérant.

Le législateur impose aux établissements de santé non seulement de remplir le dossier médical des patients mais également de le conserver suffisamment longtemps pour garantir la transparence des décisions prises et leur éventuelle contestation devant le juge. Cette obligation est particulièrement importante lorsque les soins sont dispensés à une personne vulnérable ou dans l’urgence, et donc en psychiatrie. Le régime de conservation des dossiers médicaux a d’ailleurs été élaboré afin de protéger au mieux les intérêts de chacun. D’où l’importance d’être en mesure de délivrer dans de bonnes conditions les dossiers demandés (1) et surtout, de ne pas les égarer ou les faire disparaître trop tôt.

20 ans d'archivage

Les délais de conservation obligatoire des dossiers médicaux sont posés par l’article R. 1112-7 du Code de la santé publique et doivent être mentionnés dans le livret d’accueil afin d’informer le patient sur l’étendue de ses droits de manière systématique. En principe, ces dossiers sont conservés pendant vingt ans à compter de la date du dernier séjour ou de la dernière consultation externe de son titulaire dans l’établissement. Cette très longue durée s’explique principalement pour des raisons juridiques liées au droit de la responsabilité mais elle présente également l’avantage, si les dossiers sont bien tenus, de permettre une meilleure prise en charge de chaque patient. Ce n’est qu’au terme de ce délai que la destruction peut être envisagée en respectant une procédure stricte.
La conservation des dossiers est une mission administrative à la charge de l’institution. En pratique, c’est au directeur d’établissement de veiller à ce que toutes les dispositions soient prises. Toutefois, cette obligation de conservation n’est assortie d’aucune sanction. Elle revêt malgré tout une importance significative dans le cadre de la procédure de certification et peut, si elle n’est pas respectée, avoir des conséquences en termes de responsabilité civile de l’établissement face à un patient qui s’estimerait victime d’une faute médicale.

Prouver l'absence de faute médicale

Évidemment fautive, la perte ou la destruction injustifiées d’un dossier médical peut avoir des conséquences particulièrement fâcheuses pour l’établissement. C’est ce que rappelle la Cour de cassation (2) en considérant qu’une telle perte conduit à renverser la charge de la preuve d’une faute médicale. Autrement dit, ce n’est plus au patient qui s’estime victime d’une faute d’en prouver l’existence, mais à l’établissement d’établir qu’il n’y en a pas eu, ce qui, sans le dossier, parait pour le moins hasardeux.
Face à ce type de contentieux, la jurisprudence a, dans un premier temps, développé une solution complexe. Elle estimait que la perte de ces données par un établissement de santé constituait une faute qui, dès lors qu’elle privait le patient d’une chance d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis, lui ouvrait un droit à réparation (3). Pour autant, le degré de cette réparation était calculé en fonction du niveau de probabilité de l’existence du fait dommageable invoqué et de son importance (4). De son côté, la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon (5) a estimé que « la disparition et la non-communication (d’un) dossier médical (…) constituent un manquement de l’établissement à ses obligations, révélant une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ». Cette faute a été jugée comme étant à l’origine d’un « préjudice moral certain du fait de la non-communication, à laquelle (le patient) avait droit, de ses dossiers médicaux contenant notamment des informations sur les conditions de son internement et, en particulier, sur les traitements et les soins (…) administrés ». Indemniser un préjudice moral revient à réparer une atteinte au droit légitime de savoir et de chercher à comprendre.
La solution désormais retenue par la Cour de cassation est à la fois plus simple et plus radicale : la perte d’un dossier conduit le juge à présumer de la faute invoquée par le requérant, à charge pour l’établissement de prouver qu’elle n’existe pas. En réalité, cette solution et ce raisonnement ne sont pas totalement inédits en droit français (6). Ce qui est remarquable, c’est la reconnaissance de ce principe par la Cour. De façon assez pragmatique, cette décision est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a régulièrement rappelé les liens entre droit d’accès aux données de santé et droit à un procès équitable (7) : restreindre la communication des données médicales entame les chances de succès d’une action en réparation contre les hôpitaux, et contribue de fait à limiter l’accès effectif à un tribunal. En renversant la charge de la preuve, le juge tente de retrouver un certain équilibre entre les parties et de réduire les risques d’occultation de l’information.

Stéphanie Renard, Maître de conférences en droit public, Éric Péchillon, Professeur de droit public, Lab-LEX EA 7480, Université Bretagne Sud

1– Des mêmes auteurs, lire aussi sur ces sujets L’accès au dossier médical, un droit fondamental du patient, Santé mentale, n° 228, mai 2018 et L’accès aux données de santé, spécificités en psychiatrie, n° 229, juin 2018.
2– Arrêt n° 865 du 26 septembre 2018, 17-20.143.
3– CA Toulouse, 17 avril 2001, n° 2000/01819, CAA Marseille, 13 mars 2008, n° 06MA02741, Allet c/AP-HP Marseille.
4– CA Toulouse, 17 avril 2001, n° 2000/01819.
5– CAA de Lyon, 23 mars 2010, n°07LY01554.
6– TA Clermont-Ferrand, 27 février 1990, Chapat c. CHG du Puy, n° 87740.
7– CEDH, Section iv, 28 avril 2009, n° 32881/04, aff. K.H. et autres c/Slovaquie.