26/06/2012

Chambre de réflexion

Nbre de pages : 2
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Après des années d'expérience en psychiatrie adulte, notre infirmière chevronnée est surprise de découvrir en pédopsychiatrie un espace d'isolement. Que s'y passe-t-il ? Enfants et adolescents s'approprient ce lieu, « comme un ring ou un cocon ».

Lors de mes premiers pas à l’hôpital de jour pour enfants La Villa, j’ai découvert avec surprise une chambre dite de « réflexion ». Mon premier mouvement a été un serrement de cœur. Et moi qui avais fui la psychiatrie adulte et ses chambres dites « d’apaisement », euphémisme de soignants pour faire avaler la pilule amère de l’isolement aux patients. Allais-je retrouver là une antichambre pour petits patients ? Allons, pas de mauvais esprit et regardons-y de plus près…
La présence d’une chambrette dans une unité de soin pour enfants n’a rien d’étonnant en soi puisque certains ont besoin de se reposer et même de dormir, après des nuits souvent agitées. Celle de l’hôpital de jour est plutôt jolie avec ses murs mauves et tilleul, son petit lit et sa couette aux grenouilles rigolotes, son énorme nounours et ses autres peluches… Cette petite pièce est repérée par tous, enfants et adultes, comme un espace de pause. Les enfants y vont rarement d’euxmêmes pour dormir (cette perspective étant souvent trop effrayante), mais ils s’y précipitent parfois spontanément, comme dans un refuge, lorsqu’ils se sentent débordés. Bien sûr, parfois, il faut aussi les y amener. Bref, qu’ils y aillent d’euxmêmes ou sur injonction, les enfants s’approprient cet espace, tour à tour comme un ring ou un cocon.

« Ça y est, j’ai réfléchi ! »

Ce qui me surprend en revanche, c’est son appellation : « chambre de réflexion ». Je me demande bien ce que ce mot « réflexion » évoque pour des petits. Il n’est pas rare qu’après quelques minutes (voire secondes) passées dans cette chambre, les enfants nous appellent en criant : « Ça y est, j’ai réfléchi ! » Si on leur demande le résultat de leur réflexion, finauds, ils nous prennent à notre propre piège, en nous débitant, l’air concentré et repenti, un tas de raisonnements de grandes personnes, qui n’ont bien entendu aucun sens pour eux.
Quoi qu’il en soit, j’ai fini par découvrir auprès de mes collègues et des enfants combien cette pièce pouvait être un outil extraordinaire et se révéler parfois le théâtre de spectacles fabuleux.
Terry, Brian et Nathan, les enfants les plus agités du groupe (1), passent régulièrement par la chambre de « réflexion ». Ils s’emparent de cet espace pour exprimer leur colère, leur peur ou leur désarroi, tout ce que les mots ne parviennent pas à faire. Ils savent que nous sommes là, sur le pas de la porte ou juste derrière… Parfois nous les étreignons à brasle-corps, d’autres fois nous les laissons jeter matelas, couettes, oreillers et peluches en tous sens, bourrer de coups le petit fauteuil ou le pouf. Dans tous les cas, épuisés mais apaisés, les enfants finissent lovés sous l’éboulis qu’ils ont provoqué, emberlificotés dans la couette, l’ours dans les bras, parfois le pouce dans la bouche. Ce lieu est propice aux solutions originales… Un après-midi, Brian ne cesse de s’en prendre à Myrtille* et Lucie, les bousculant pour leur prendre jouets, doudous ou tétine. Je l’embarque dans la chambre, l’air très fâché, le tiens fermement dans mes bras, me mets à le bercer et lui colle une tétine à la bouche : « Puisque tu veux faire le bébé, on y va ! Et tâche de le faire bien ! » Au début il se débat et se tortille et très vite, il se relâche et laisse aller. Lorsque nous arrêtons cette séance, il me dit : « On la refera, la punition ? »

Du côté des ados 

Changement de décor, nous voici à Esquirol, l’unité d’hospitalisation pour enfants et adolescents du même établissement. Autant la chambre de réflexion des petits a quelque chose de magique, autant celle des ados se rapproche dangereusement de la chambre d’isolement des adultes. Ici, la pièce dite d’apaisement, nettement moins jolie et plus spartiate, est aussi plus grande, pour qu’on puisse intervenir à plusieurs soignants. Pas de lit, juste un matelas au sol et une couette de billes toute moche. Une pièce tellement nue qu’elle fait froid dans le cœur. Les collègues ont bien essayé de la rendre plus chaleureuse, plus rassurante et propice à rassembler les éclats d’enfants, mais coussins, poufs, doudous, couettes et oreillers sont interdits car non conformes aux normes de sécurité…
Mais là encore les soignants inventent pour que s’y jouent de très belles scènes. Lorsque le lieu est inoccupé, la porte reste ouverte afin que la chambre puisse être explorée avec nous ou à notre insu. Calée entre la cuisine et la salle de soins, en face de la salle de télévision et de la salle à manger, elle est au cœur du service et certains enfants ou adolescents préfèrent s’isoler là, entourés par les bruits familiers plutôt que de rester dans leur chambre plus éloignée.
Cette salle n’est pas une aire de jeux et tous le savent. Mais les soignants ne s’économisent pas pour chahuter sur ou sous le matelas/couette avec les enfants pour les encourager à s’y défouler quand le besoin s’en fait sentir.
Comme à La Villa, il arrive que les adolescents prennent la pièce d’assaut euxmêmes. D’autres fois il faut les y accompagner. La plupart du temps, l’effet apaisant est rapide, comme lorsque Martin s’effondre en pleurs après une crise clastique dans les bras de Michel, infirmier, et lui lâche soudain toutes les questions qu’il se pose sur la mort de son père. D’autres ont besoin de plus de temps, c’est le cas d’Issam, colossal adolescent, submergé par ses peurs. Il reste blotti sous la couette deux heures durant, vérifiant régulièrement que Cathy, infirmière, tranquille et silencieuse, veille toujours sur lui.

Après l’orage …

Tous savent donc que c’est dans cet espace que patients et soignants mènent corps à corps les combats les plus formidables (au sens étymologique du terme « battre avec »), contre la rage, le désespoir et les angoisses les plus archaïques. Tous savent aussi qu’ils sortent victorieux de cette arène et les expériences vécues dans cet espace sont souvent des moments fondateurs pour les patients comme pour les soignants. C’est là en tout cas la grande différence avec les chambres d’isolement des adultes : après l’orage, petits et grands reprennent le cours de leurs activités en confiance et tranquillité…

Marie Rajablat, Infirmière, Pôle psychiatrie enfants et adolescents, Hôpital de jour La Villa, Esquirol, Centre hospitalier Ariège-Couserans, Saint-Liziers (09).

 1- Ces enfants sont les héros des précédentes aventures de Bécassine, Santé mentale n° 165, 166, 167.