La maladie… en échec ?

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Par bribes, Noam livre sa grande difficulté à « faire des choses » et à supporter sa maladie. Le CATTP lui propose un lieu où se poser, à la fois loin et près des autres.

Noam est un grand jeune homme de 40 ans, schizophrène, qui fréquente le CATTP (Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) depuis deux ans. Très discret, il préfère se cacher. Face aux autres, il piétine, hésite, comme s’il cherchait constamment la bonne distance physique. Quand il participe à un groupe, il entre dans la grande salle puis recule, s’arrête, lance des regards furtifs, et finalement s’installe sur la chaise la plus reculée, pour ne pas déranger. Peut-être prend-il la température des lieux et du groupe, comme s’il devait observer longuement avant de pouvoir entrer en contact.
Noam aime les cinémas d’arts et d’essai du quartier Saint-Michel, surtout les vieux films avec Alain Delon. Toujours vêtu de noir, les cheveux mi-longs coiffés de manière hasardeuse, il ne croise jamais votre regard. Il marche tête baissée et parle d’une voix hésitante. Noam aime les jeux de mots, la littérature et les échecs. Quand il arrive, je lui demande de ses nouvelles, il me répond toujours de manière étrange et poétique. « Comment je vais, Virginie? Le monde tourne, le temps passe et moi, je tourne, peut-être mal, peut-être bien qui sait ? Pouvez-vous me le dire ? » Puis il étouffe un rire et s’approche de moi autant qu’il le peut en précisant qu’il plaisante, qu’il ne faut pas le croire.

« Je veux soutenir mes amis »

Parfois, il se tient très loin du groupe. Il a du mal à s’exprimer, ses mots se mélangent, son débit est rapide. Il me dit alors qu’il n’est pas en forme mais qu’il ne faut pas s’inquiéter, que le groupe lui fera du bien malgré tout. Et puis, à d’autres moments, Noam semble beaucoup plus à l’aise. C’est lui qui a accueilli Isabelle, une nouvelle patiente du groupe piscine. Il lui a présenté les participants puis s’est mis à lui parler du dernier film qu’il avait vu. Ils ont marché et papoté comme deux amis. D’ailleurs, Noam a beaucoup d’amis. Tous les lundis soirs, il joue aux échecs dans un GEM (Groupe d’entraide mutuelle). Il me raconte qu’il est allé manifester avec ses amis du GEM contre la nouvelle loi sur la psychiatrie (1). Discrètement! Il rougit légèrement quand je le félicite de son engagement. « Oh, vous savez, je ne sais pas grandchose à propos de cette nouvelle loi. Vous, vous êtes infirmière à l’hôpital. Vous devez savoir mieux que moi ce qui s’y passe. Moi, je n’ai jamais été hospitalisé. Mais des amis y ont été. Ils racontent des choses vraiment terribles, vous savez. Ils disent que c’est terrible d’être enfermé à l’hôpital, qu’on n’a pas envie d’y revenir. Ils disent que ça ne les a pas aidés, vous savez. Je veux les soutenir. Si jamais j’étais hospitalisé je serais content qu’on défende mes droits, qu’on pense à moi… »

« Ma vie, un effort permanent »

Je dis à Noam que j’admire son implication dans la vie sociale et culturelle du GEM. Il me répond qu’il ne fait pas assez de choses, qu’il se laisse aller. Souvent, il ne se lève pas avant midi parce qu’il aime regarder des films et se coucher tard. Il a peur que la maladie l’emprisonne chez lui, le conduise à moins sortir, à moins voir de monde. « Ma vie est un effort permanent pour ne pas sombrer », me confie-t-il. Puis il ajoute, avec un sourire : « C’est vraiment trop dramatique ce que je viens de vous dire, non ? Je voulais juste expliquer que j’ai parfois du mal, comme tous les malades, à faire des choses. »
Noam vient chaque semaine au groupe accueil et joue aux échecs avec Sébastien. Il faut les voir, tous les deux, concentrés, passionnés, restant jusqu’à la dernière minute pour finir ou recommencer une partie. Ils semblent là et pourtant ailleurs, avec nous et totalement dans leur monde. Noam précise qu’il joue pour garder un niveau et s’exercer l’esprit.
Avec Sébastien, ils ont trouvé là une bien belle façon de se jouer de la maladie, de vivre avec elle tout en restant avec les autres. Au CATTP, nous sommes une béquille qui les aide à se maintenir dans la société. Nous encourageons leur vie sociale et amicale; nous sommes là quand ils ont besoin de se poser, ou simplement de passer, loin ou près des autres.

Virginie Jardel, Infirmière, CMP-CATTP Mathurin-Régnier, secteur 14, Paris (75)

1– Loi 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.