Un peu d’insolence…

N° 164 - Janvier 2012
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Isabelle, une jeune patiente, a une présence parfois envahissante… qui permet néanmoins de «réveiller» le quotidien du CATTP.

Isabelle est un personnage déroutant et souvent amusant malgré elle. Le regard vif et pétillant, cette jeune femme de 35 ans, un peu rondelette, semble toujours à l’affût. Elle vit dans un studio avec cinq chats, quatre tortues et trois rongeurs dont elle s’occupe avec passion. Elle nous a raconté un jour qu’elle avait tué une de ses tortues en voulant la soigner. La petite bête était enrhumée, Isabelle l’avait mise au bord d’une casserole d’eau fumante avec de l’essence d’eucalyptus. Hélas, la tortue tomba dans la casserole d’eau et mourut ébouillantée. Nous avons eu du mal à garder notre sérieux à l’évocation de cette tragédie. Isabelle est une sorte de Brigitte Bardot qui consacre sa vie aux animaux car, explique-t-elle, « c’est plus facile pour moi avec les animaux qu’avec les gens ».

Mille questions

Pendant des années, Isabelle s’est enfermée chez elle sans voir personne. Mais depuis qu’elle vient trois fois par semaine au CATTP, sa vie a changé. Elle participe aux activités théâtre, piscine et aux sorties. La première fois que je l’ai vue, c’était avant d’aller à la piscine. Elle m’a d’abord demandé si elle pourrait emmener ses tortues avec elle la prochaine fois et je me suis contentée de sourire. Avant d’entrer dans l’eau, Isabelle m’a dévisagée : « Comment vous faites pour rester aussi mince? Moi, je ne peux pas m’empêcher de manger des gâteaux. J’aimerais être pâtissière pour pouvoir en manger tout le temps ou bien me laisser enfermer dans une pâtisserie pour tout dévorer la nuit. »
Isabelle souffre de troubles obsessionnels compulsifs, avec des rituels de vérifications très importants. Elle demande comment est chauffée la piscine, quelle est la température de l’eau et la fréquence du nettoyage. Avant l’activité, elle dresse une liste de questions à poser et harcèle les maîtres nageurs. Dans le bus du retour, elle me raconte ses aventures quotidiennes, qu’elle a l’art de transformer en drames, qui dégénèrent souvent et la mettent parfois en danger.

« Vous pourriez répondre ! »

Un jour, alors qu’Isabelle fait des courses au supermarché, elle remarque à son passage en caisse que la caissière n’est pas très polie avec une personne âgée devant elle. « Madame, l’interpelle Isabelle, vous pourriez répondre à cette personne qui vous a dit bonjour. » La caissière lève les yeux d’un air surpris et continue à passer les articles devant le scanner sans mot dire. Mais Isabelle lance : « Vous savez Madame, ce n’est pas parce que cette dame est âgée qu’il faut la traiter comme vous le faites.
– Oh, ne vous inquiétez pas, Mademoiselle, ce n’est pas grave, dit la vieille dame en se retournant. De toute façon je n’entends presque plus rien. »
Et elle s’en va à petit pas avec son cabas, pendant qu’Isabelle, les yeux brillants de fureur, harcèle la caissière impolie : « Franchement, si j’étais votre patron, je vous enlèverais de l’argent chaque fois que vous ne saluez pas quelqu’un. Et même deux fois plus quand c’est une personne âgée qui mérite le respect. On ne vous a pas appris la politesse… »
Et Isabelle poursuit son flot de paroles devant les autres clients indifférents ou amusés. La caissière réclame de l’aide. Un jeune homme « baraqué » arrive et prie Isabelle de bien vouloir sortir avec ses quatre boîtes de nourriture pour chats au lieu de gêner le travail de la caissière et le passage des autres clients. Hors d’elle, Isabelle hurle et traite le vigile de « grosse brute », de « gorille », affirmant qu’elle lui mettrait bien « un coup de boule » si elle était un homme… Après des cris stridents, elle est fermement mise dehors par le vigile qui la traite de folle et de cinglée en lui recommandant d’aller se faire soigner.
Isabelle me raconte son histoire avec une mine réjouie, le sourire en coin, les yeux brillants, guettant ma désapprobation. Je sais qu’elle attend que je la sermonne comme une enfant mais je lui dis juste qu’elle a bien fait de défendre la vieille dame. Isabelle fait la moue : « Bon, à la semaine prochaine alors, Virginie! Au fait, j’ai repéré une exposition sur les araignées au Muséum d’histoire naturelle pour le groupe sorties la semaine prochaine, vous n’avez pas peur des araignées au moins? J’aimerais tellement voir une mygale, il paraît qu’elles sont énormes! Au revoir! », claironne-t-elle gaiement.

Un remède contre la monotonie

J’avoue que c’est avec soulagement que je regarde Isabelle s’éloigner. Intarissable, elle est à la fois agaçante, déconcertante et drôle. Elle est tellement en décalage avec les normes et la réalité que je n’ai pas résisté à l’envie de raconter son histoire. Malgré tout, elle reste toujours étonnante et réveille les groupes parfois monotones par son impertinence. Un peu d’insolence, c’est parfois salutaire !

Virginie Jardel, Infirmière, CMP-CATTP Mathurin-Régnier, secteur 14, Paris (75)