Approche éthique des réticences des soignants à la vaccination contre la Covid-19

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L’Espace de réflexion éthique Bourgogne – Franche-Comté (EREBFC) a mené une étude auprès de personnels de santé de la région hésitants à la vaccination contre la Covid-19 afin de comprendre leurs motifs de réticences et d’identifier les questions éthiques associées. Cette hésitation vaccinale met notamment en lumière « la nécessité de penser les incertitudes inhérentes à la médecine.« 

De février à juillet 2022, l’EREBFC a accueilli Sophie Andréa Lagrange, une stagiaire en Master 2 de sociologie qui a mené cette étude régionale afin de comprendre les motifs de cette hésitation vaccinale et en dégager les questions éthiques. L’auteur le rappelle en introduction. L’obligation vaccinale contre la Covid-19 pour les personnels soignants, actée le 15 septembre 2021, a suscité, comme chez le grand public, des contestations et parfois même un refus catégorique de s’y soumettre. « Elle a été notoirement stigmatisée par l’opinion publique quand certains de ses membres ont fait part de leur refus. La prise de décision a été particulièrement difficile pour nombre de soignants, oscillant entre devoir citoyen et rejet d’une mesure jugée liberticide, conscience professionnelle et questionnements personnels. Cette hésitation vaccinale a évolué dans un contexte sanitaire déjà dégradé à la fois par une remise en cause de notre modèle de santé depuis de nombreuses années mais également par les vagues épidémiques successives de Covid-19. Finalement, beaucoup de soignants hésitants n’ont pas eu d’autre choix que de se faire vacciner pour ne pas perdre leur emploi, ce qui pose la question du consentement de ces professionnels de santé vaccinés sous contrainte.« 

Pour le recrutement des enquêtés, le choix a été fait de lancer un appel à témoignages auprès des soignants de la région, puis de procéder à des entretiens individuels semi-dirigés pouvant se dérouler par rencontre physique ou par téléphone ou visioconférence, « ces deux derniers outils de recueil permettant ainsi un plus grand anonymat. Ces choix sont justifiés par le caractère tabou du sujet traité » précise Sophie Andréa Lagrange. Une étude régionale a ainsi été menée de février à juillet 2022. Douze entretiens individuels semi-dirigés avec des soignants réticents, mais qui se sont finalement résolus à se faire vacciner, ont permis d’identifier des motifs nombreux. 

La vaccination, une décision prise sous contraintes financières : la suspension de salaire prévue par la loi relative à l’obligation vaccinale a été une variable majeure à prendre en compte dans le choix que les soignants ont eu à faire.

Les motifs « scientifiques » mis en avant par ces personnels soignants réticents :
– un vaccin arrivé trop rapidement ;
– un vaccin qui ne correspond pas à la définition de ce qu’est un vaccin ;
– l’inefficacité de ce vaccin ;
– la science vaccinale n’existe pas.

 » Pourquoi nous ? ». Pour Sophie Andréa Lagrange, « il semblerait que les soignants se soient parfois sentis décontenancés face à ce qu’ils ont ressenti comme une forme d’acharnement. Après avoir vécu des mois difficiles au début de la crise sanitaire, ils se sont vus surnommés « héros » avant de devoir faire face à l’obligation vaccinale. » Et de poursuivre, « la crise sanitaire survenue à la fin de l’année 2019 ne manqua pas d’exacerber les difficultés rencontrées par ailleurs par les soignants. L’obligation vaccinale qui en découle a pour bon nombre des soignants rencontrés été génératrice de souffrance. Il a semblé, au cours de cette étude, important de mettre en exergue la perte de confiance placée en l’institution qui a contribué à faire le lit de l’hésitation vaccinale des soignants. L’hésitation vaccinale est donc ici considérée comme un construit, un processus replaçant au cœur du phénomène le soignant, ses souffrances – ou plus
généralement le rapport entretenu avec sa profession – et le contexte dans lequel il l’exerce.
« 

L’obligation vaccinale faite aux soignants fut l’occasion de questionner, plus globalement, le libre-arbitre dont ils disposent au sein de leurs pratiques : qu’est-ce qu’adhérer à des protocoles de santé publique ? Le caractère obligatoire de la vaccination introduit également inéluctablement la question du consentement libre et éclairé, principe incontournable de l’éthique en santé. « Nous avons rencontré des professionnels de santé qui nous ont fait part de façon sous-jacente de leur définition de la santé, au travers des valeurs soignantes qui les animent, explique Sophie Andréa Lagrange. Cette définition de la santé avait pour point commun de se référer à la sacralité de la santé naturellement conçue. Ce point permettait régulièrement d’introduire leur réticence à la vaccination en mettant en avant son artificialité.« 

C’est un résultat majeur de cette étude : les métaphores qui ont trait à la violence et à l’humiliation provoquée par cette obligation vaccinale sont pléthores. En effet, bon nombre des personnels soignants rencontrés ont présenté la façon dont ils ont vécu l’obligation vaccinale en procédant à des analogies avec le viol. Analogies sitôt renforcées par l’évocation de cette intrusion non consentie. Mais que viole alors la vaccination ?

Conclusion

L’un des deux objectifs majeurs de cette étude était d’identifier les motifs de réticences des personnels soignants à la vaccination contre la Covid-19. Ceux-ci sont nombreux et rejoignent un certain nombre des controverses dont fait régulièrement l’objet la vaccination de manière générale : ces motifs de réticences sont relatifs à la rapidité avec lequel est apparu le vaccin contre la Covid-19, interrogent sa sûreté et son efficacité, et questionnent la définition même de la vaccination ainsi que sa scientificité. En ce sens, il semble que le vaccin contre la Covid-19 ne puisse pas être décrit comme un vaccin singulier. Toutefois, peu nombreux sont les enquêtés qui se décrivent comme anti-vaccins. L’auteure souligne l’importance du contexte dans lequel se déroule cette vaccination massive ainsi que la façon dont elle fut rendue obligatoire. Il s’agissait ainsi d’insister sur le caractère construit de l’hésitation vaccinale appréhendée comme résultant d’un processus.
Cette étude était également résolument inscrite dans une perspective compréhensive du phénomène étudié. La perspective éthique engagée dans le second objectif de cette étude impliquant de s’éloigner de toute perspective moralisatrice, il s’agissait de dégager les questions éthiques que soulève l’hésitation des soignants à la vaccination contre la Covid-19.
Outre la contestation de la mesure sanitaire sur le plan des libertés, le contexte dans lequel se déroule cette obligation vaccinale est empreint de défiance à l’égard des politiques publiques en matière de santé. Si l’on s’en réfère au contexte dans lequel est né la loi Kouchner censée apporter des réponses à une montée des défiances alors croissantes en construisant notamment une plus grande horizontalité des rapports entre soignants et soignés et soulignant le droit à l’information du soignant pensée comme condition sine qua none de l’exercice d’un consentement libre et éclairé, il semblerait que vingt ans plus tard le contexte de la Covid-19 donne à voir les limites de la loi Kouchner. En ce sens, la crise que nous traversons est double : d’une part elle s’illustre dans les difficultés contemporaines inhérentes au système de santé ; d’autre part, la crise de la Covid-19 illustre les défaillances d’une démocratie sanitaire dont l’efficience devait être renforcée par la loi du 4 mars 2002. Certains voient alors en cette crise l’opportunité renouvelée de penser l’avenir de la démocratie en santé.

L’hésitation des soignants à la vaccination contre la Covid-19 – Approche éthique de leurs réticences. Etude 2022 de l’Observatoire. Sophie Andréa Lagrange, stagiaire EREBFC, étudiante en sociologie à l’université de Bourgogne. Synthèse du rapport (PDF).

A lire aussi : Attitudes et intentions à l’égard du vaccin Covid-19 chez les professionnels de santé de Guyane, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 15 février 2022, n°14 – série Covid-19.