Irresponsabilité pénale : des Parlementaires proposent de créer l’infraction « d’intoxication délibérée »

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Créée à la suite de l’affaire dite Sarah Halimi pour travailler sur le principe de l’irresponsabilité pénale, la mission flash de l’Assemblée nationale cherche à concilier le principe cardinal consistant à ne pas condamner pénalement les personnes reconnues irresponsables avec l’intérêt des victimes et de la société. Selon un communiqué des rapporteurs, elle formule une proposition pour conserver la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal et sanctionner la « faute antérieure », via la création d’une « infraction autonome d’intoxication délibérée » .

La mission « flash » a été créée à la suite de l’affaire dite Sarah Halimi afin d’analyser les fondements et conséquences du régime actuel d’irresponsabilité pénale et d’envisager les possibles adaptations du dispositif. Au terme de leurs travaux, Me N. Moutchou (LaREM) et M. A. Savignat (LR), rapporteurs, recommandent de concilier le principe cardinal consistant à ne pas condamner pénalement les personnes reconnues irresponsables avec l’intérêt des victimes et de la société.

Ils formulent une proposition adaptée pour combler le vide juridique actuel qui voit échapper à toute sanction pénale les auteurs de crimes et délits ayant volontairement consommé des produits provoquant une abolition de leur discernement avant leur passage à l’acte.

Fondements théoriques d’un principe cardinal du droit pénal

● La responsabilité pénale suppose la conscience de ses actes, l’intention d’agir étant nécessaire pour caractériser l’élément moral de l’infraction.
● Cette condition remonte à l’Empire romain, le code Justinien disposant que « le crime n’est engagé que si la volonté coupable est présente ».
● La formalisation de l’irresponsabilité pénale en raison du trouble mental de l’auteur s’opère dans le code pénal de 1810, dont l’article 64 proclame : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ».
● L’édiction du nouveau code pénal, en 1994, a peu modifié les dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale. Son article 122-1 distingue explicitement deux hypothèses :
o lorsque son discernement a été aboli, l’auteur des faits est déclaré irresponsable ;
o lorsque son discernement a seulement été altéré, ou le contrôle des actes commis entravé, l’auteur des faits est responsable mais la juridiction tient compte de cet état dans la détermination de la peine.

Une application qui reste rare en pratique

● Sans être négligeables en volume, les décisions d’irresponsabilité pénale restent relativement marginales en proportion de l’ensemble de l’activité des juridictions pénales.
● Entre 2012 et 2019, 1 159 décisions d’irresponsabilité ont été rendues et inscrites au casier judiciaire national, c’est-à-dire impliquant une mesure de sûreté destinée à maîtriser la dangerosité des auteurs des faits les plus graves. C’est moins de 145 par an.
● S’agissant de la nature des faits en cause, les principaux types d’infractions concernés sont :
o les homicides et coups mortels, qui représentent un tiers des cas environ (361) ;
o les violences délictuelles, dans plus d’un quart des cas (319) ;
o les atteintes aux biens, dans 16 % des cas (190).
● Il faut ajouter à cela une dizaine de milliers de classements sans suite chaque année, qui sont décidés par les procureurs de la République dans les affaires de moindre gravité.

La principale recommandation des rapporteurs : sanctionner la « faute antérieure »

Tout en conservant la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal, les rapporteurs recommandent d’appliquer la théorie de la faute antérieure avec un dispositif reposant sur deux volets complémentaires.

1– L’exclusion de l’irresponsabilité pénale en cas d’intoxication délibérée dans le cadre d’un projet criminel préalable

En premier lieu, les rapporteurs préconisent d’écarter expressément l’application de l’article 122-1 du code pénal lorsque l’abolition du discernement a été délibérée, par l’intoxication volontaire de l’auteur, de manière à faciliter la commission de l’infraction. En effet, dans cette hypothèse, l’intention criminelle a préexisté à la commission de l’infraction

2– La création d’une infraction autonome d’intoxication délibérée

En second lieu, les rapporteurs proposent de créer une infraction autonome réprimant le fait de s’intoxiquer délibérément et de commettre, dans un état de trouble mental ayant aboli temporairement le discernement du fait de l’intoxication, une atteinte à la vie ou à l’intégrité d’une personne.
● L’incrimination couvrirait à la fois la consommation, interdite, de produits stupéfiants et celle, excessive, de médicaments accessibles sur prescription médicale et de biens dont le commerce est libre ou faiblement réglementé. En revanche elle écarterait, notamment, les situations dans lesquelles la personne fait l’objet d’une malveillance (empoisonnement), subit un coup du sort (ingestion accidentelle) ou supporte l’erreur d’un tiers (prescription médicale inadéquate).
● En visant une abolition temporaire du discernement, l’incrimination ne concernerait que les personnes qui auraient retrouvé leurs esprits à la suite de l’intoxication.
● Enfin, elle ne s’appliquerait qu’aux comportements les plus graves constituant une atteinte à la vie ou à l’intégrité d’une personne, à savoir les homicides et les violences.

« Le droit en vigueur est d’une clarté absolue : si le discernement fait défaut au moment de l’action, il n’y a pas de responsabilité pénale. Cette analyse, incontestable en droit, introduit une dissonance. […] C’est une chose de perdre l’entendement du fait de la maladie, du grand âge, d’un choc extérieur ou d’un empoisonnement. C’est autre chose de s’intoxiquer délibérément, au mépris de la loi et en usant de produits éventuellement interdits, pour entrer dans un état de trouble qui pourra être préjudiciable à autrui, mettre la vie d’autrui en danger » concluent Me Moutchou et M. Savignat, rapporteurs.

• En savoir plus : Mission « flash » sur l’application de l’article 122-1 du code pénal. Communication de Mme Naïma Moutchou et M. Antoine Savignat, Mercredi 30 juin 2021