22/04/2020

Quand on parle de masque, on en voit l’élastique (1)

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Grâce au réseau des « Cousettes du 04-05 » chaque membre du Groupe d’entraide mutuelle va disposer de deux masques en tissu en attendant les promesses de distribution de masques au particulier pour le déconfinement.

Si j’avais pu aider Serge à se confectionner un masque, je n’en restais pas moins préoccupé par cette question (2). Mes contacts téléphoniques avec différents Gémiens (membres d’un Groupe d’entraide mutuelle) m’ont confirmé que nombre d’entre eux hésitent à sortir faire leurs courses, ou alors les font en courant et avec tellement d’angoisse qu’il leur faut deux jours pour s’en remettre. Ils ne s’aèrent donc pas ou peu. Certains vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans une atmosphère saturée de fumée de cigarettes qu’ils tètent les unes après les autres. Comment leur permettre de respirer un peu ? Les aléas de la communication gouvernementale ne leur permettre pas d’y voir clair. Ils sont perdus. Que faire ? Les masques en tissu ne sont pas efficaces, c’est sûr mais s’ils contribuent à rassurer les Gémiens, pourquoi pas ? Lorsque ma collègue infirmière, Claire, a donné à Christophe, deux masques qu’elle avait cousus, il s’était de suite senti rassuré et avait commencé à circuler autour de chez lui jusqu’à se faire une promenade d’une heure dans Gap. Claire lui avait bien évidemment rappelé les limites et les contraintes des masques « faits maison » (voir tableau).

Serait-il possible de trouver au moins deux masques à usage non sanitaire pour chaque Gémien ? Actuellement aucun commerce n’en vend et les masques sanitaires sont réservés aux soignants. Comme souvent la lumière jaillit de la  discussion et de l’échange. Au Gem, nous n’avons aucune autorité au-dessus de nos têtes. Pas de cadre, de cadre-sup ou de directeur qui pinaille. Nul ne vient nous demander de remplir un ordre de mission pour tailler les arbres de la haie. Nous ne perdons pas notre temps à coter des actes dont nul ne tiendra compte. Comme souvent, au Gem, la  lumière jaillit du cerveau fécond de José, notre référent informatique.

18 euros, les dix masques …

« Mon voisin a commandé vingt masques sur un site de commerce en ligne : 18 euros les dix masques.

– ????

– C’est un site qui met en relation ses membres, nous par exemple, avec des professionnels qui offrent des biens ou des services via des coupons que ce site commercialise au nom et pour le compte des vendeurs.

– C’est fiable ?

– A priori oui. D’ailleurs j’en ai commandé vingt. Ça peut prendre un peu de temps mais je les recevrai bientôt. En regardant sur le site, j’ai vu qu’on pouvait en acheter une centaine.

– Cent … Génial, on pourrait équiper chaque Gémien de deux masques. Tu me donnes les coordonnées. »

J’ai appelé Christophe, le trésorier du Gem pour savoir ce qu’il pensait de l’idée. Il était réticent quant à la distribution des masques mais financièrement ça ne posait pas de problème :

« De toute façon on ne dépense rien en ce moment, en dehors du loyer. Autant que cet argent serve aux Gémiens. »

J’ai ensuite téléphoné à Colette, notre animatrice. En chômage partiel, elle appelle les uns et les autres pour prendre de leurs nouvelles. Nous faisons le point chaque semaine sur les Gémiens contactés. Nous avons convenu qu’elle viendrait au Gem pour récupérer la carte bleue et passer commande de 20 masques, entre temps le coupon était passé de 100 masques à 20. Ce sont de beaux masques noirs qui couvrent bouche, nez et joues. Pas une assurance en béton armé mais des masques réutilisables en polyuréthane, peut-être plus fiables que ceux en tissu. Colette devait passer plusieurs commandes, jusqu’à en avoir 100. Si ça ne fonctionnait pas, nous alternerions nos coordonnées.

Les cousettes du 04-05

«  Allo Dominique, j’ai une super-occase pour les masques. Mieux que les 40 que j’ai commandés.

– Oui Colette

– Une de mes voisines m’a donné les coordonnées d’un groupe  de couturières qui fabriquent des masques en tissu et les donnent gratuitement aux institutions de Gap qui se chargent de les distribuer à leurs membres. Ils ont équipé l’A.P.F. (Association des Paralysés de France) et La Cordée (Foyer qui accueille des personnes sans domicile fixe). J’ai téléphoné pour voir comment ça fonctionnait. Ils en ont déjà fabriqué plus de 1600. Nous pourrions les avoir mardi prochain, dans une semaine quoi ! Qu’en penses-tu ?

– Feu Colette, feu. »

C’est ainsi que samedi, avec trois jours d’avance, Colette a reçu nos cent masques qu’elle s’est empressée de laver. Elle a mis chaque paire de masques dans un pochon et y a joint un poème : « Bah tant que j’y étais, autant rendre ça agréable ! », des conseils de lavage et les recommandations en cours à propos du COVID-19.  Il ne reste plus qu’à les distribuer.

En tant que président du Gem, il m’incombe de téléphoner à la représentante de ces couturières pour les remercier en notre nom.  C’est ainsi que j’ai fais connaissance avec Muriel Bufquin.

« Non, non je ne suis pas couturière, je suis assistante maternelle, en chômage partiel pour cause de confinement. J’avais envie de donner un coup de main. J’ai vu qu’il existait un groupe d’entraide autour du coronavirus créé dès le 16 mars. Sur Facebook. J’avais dans l’idée de proposer de cuisiner des plats pour les soignants, les sans domicile fixe… C’est plutôt ça ma spécialité. Mais ça n’a pas pris. Alors quand j’ai entendu tout ce qui se disait autour des masques, j’ai pensé que ça pourrait être utile d’en fabriquer. Petit à petit s’est créé un groupe d’une cinquantaine de couturières. Nous ne nous connaissons pas. Notre seul contact est via Facebook. Une dizaine d’entre nous coupent les patrons, ce qui fait gagner du temps aux couturières. Récemment nous nous sommes mises à fabriquer des surblouses, des calots et des charlottes. Nous en sommes à une petite centaine.  Deux « partenaires » nous ont fourni la matière première : La foire aux tissus et le Fil d’Ariane (une autre association d’entraide). Tous deux à Gap. Nous avons aussi des livreurs qui, profitent de leurs déplacements professionnels pour déposer les masques aux institutions. On a notre page Facebook : « Les cousettes du 04-05 » où l’on peut admirer nos différents modèles. »

J’ai remercié Muriel, très admiratif, et lui ai promis de lui envoyer cet article. Je me suis dit que l’on pouvait encourager les soignants de bien des façons.

Avant la Grande distribution

Chaque Gémien aura ainsi une paire de masques en tissu. Je me suis dit qu’il serait bien qu’il en soit ainsi pour chaque patient suivi en psychiatrie en ambulatoire à Gap. J’ai pris mon smartphone et appelé mon amie Claire qui travaille au Centre de santé mentale et lui ai transmis les coordonnées de Muriel. Elle en a parlé à Maria, la cadre du service social, qui va assurer la liaison avec les cousettes du 04-05. La semaine prochaine, si aucun grain de sable administratif ne s’en mêle, tous seront équipés.

Je ne suis plus infirmier de secteur psychiatrique mais il me semble que nous avons là une belle mise en application de ce que doit être le secteur, un lien entre personnes qui va de proche en proche et permet que des solutions introuvables autrement puissent émerger. Ce qui est possible dans une petite ville ou un petit département, l’est-il dans un pôle de 200 000 habitants ?

Dominique Friard, Président du Gem Le Passe Muraille

  1. Formule trouvée par Suze Karak lors d’un jeu organisé, le 21 avril, sur la page Facebook https://www.facebook.com/dominique.friard.7« Les jeux à la con du Dr Cabochon »
  2. https://www.santementale.fr/exclusivites/mon-cmp-a-l-heure-du-convid-19/pour-sauver-des-vies-je-reste-chez-moi.html

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N° 220 Les savoirs expérientiels du patient
N° 245 Directives anticipées en psychiatrie
N° 248 Mettre en œuvre la pair-aidance
N° 268 Usagers, partenaires des soins ?

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