Dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons, écoutons ce que les systémiciens nous soufflent à l’oreille : il est parfois nécessaire de sortir du cadre, entendons ici « sortir des dispositifs d’écoute habituels ». Adaptons-nous et développons les ressources que nous proposons habituellement en présentiel. Les mesures de confinement nous invitent à être ici créatifs. C’est ainsi que nait l’idée de télétravail, de consultations en visio-conférence, de plateformes téléphoniques. Face aux besoins des soignants en première ligne et des personnes confinées à leur domicile, faisons de notre mieux pour offrir un soin de qualité suffisamment bonne. Nous choisissons ici de croiser les regards dans une dimension intégrative entre la clinique du psychotraumatisme (relative aux CUMP, 1) et celle de la crise (relative à la crise suicidaire) et de traiter les premiers signes par deux outils d’approche psychocorporelle, la méditation de pleine conscience et l’hypnose.
Les maux de la crise…
Différentes cellules d’écoute Covid-19 organisées en plateformes téléphoniques sont ainsi mises à disposition des soignants et des usagers gratuitement sur le territoire national. Les personnes qui appellent font état de difficultés à faire face à leurs craintes, leurs peurs, leurs angoisses, leurs pulsions de mort, ce qui est bien compréhensible dans ce contexte si particulier… Telle personne interroge la marche à suivre, si elle venait à disparaître, pour que ses enfants soient accueillis dans un foyer d’accueil d’urgence, ou telle autre demande ce qu’elle peut faire pour faire face à un éprouvé corporel « brûlant de l’intérieur »… ou bien encore tel autre, soignant, déroule un conflit de loyauté entre la responsabilité de rester à la maison pour ne pas contaminer sa famille et la culpabilité d’abandonner temporairement ses fonctions et ses collègues. Quand le confinement vient réveiller dans la séparation avec les autres des angoisses d’abandon, des deuils douloureux ou en empêchent le travail, le passage à l’acte s’invite pour couper court à la souffrance.
De leur côté, les soignants s’affairent à ne pas penser. Le corps prend alors la relève et vient exprimer toutes les peurs qu’ils s’interdisent de dire. Ils partent « la boule au ventre » et rentrent « la gorge nouée », en d’autres termes, le corps crie « j’ai peur» et « je ne peux rien en dire ». D’autres en viennent même à douter de leurs qualifications professionnelles. Tout soignant et toute personne peut appeler ces lignes d’écoute pour déposer son ressenti subjectif auprès d’un professionnel de santé formé au psychotraumatisme et trouver une écoute aussi active que rassurante. Un point est fait avec l’appelant pour qualifier l’état de stress et des conseils individualisés sont donnés. L’entretien téléphonique respecte évidemment la confidentialité dans le secret professionnel. L’appelant est parfois redirigé vers le service le plus adapté (2) et correspondant à son besoin. Il peut être orienté avec son accord vers un médecin, peut-être le sien pour solliciter un arrêt de travail et prescrire un traitement médicamenteux adapté. Alors que la communication prend fin, les écoutants s’accordent avec l’appelant de se rappeler au besoin à la date et à l’heure qui conviendra le mieux. Il est important de préciser que ces lignes mises à disposition dans ce contexte exceptionnel ne prennent pas le pas sur les espaces de thérapie ou de consultation déjà en place (et qui continuent de maintenir le lien).
Stratégies de gestion du stress
Revenons un moment sur la définition conceptuelle de la crise : « Période relativement courte de déséquilibre psychologique chez une personne confrontée à un évènement grave, qui représente un problème pour elle, et qu’elle ne peut fuir, ni résoudre avec ses ressources habituelles de résolution de problème » (Caplan, 1964). Avant la crise, « cet état de tension demeure tolérable dans la mesure où la période de temps nécessaire à la résolution de problème ne dépasse pas la durée habituelle de résolution de problème » (Séguin, Brunet, Leblanc, 2006 et 2012).
Il apparaît donc important d’identifier quelles stratégies vous adoptez ou aimez adopter pour faire face au stress, diminuer / réguler les tensions et conserver votre état d’équilibre…
Il existe 3 types de stratégies qui permettent de faire face aux stresseurs :
– les approches centrées sur les conduites (faire du sport, lire, regarder un bon film, chanter, cuisiner, jouer avec les enfants, prendre une douche revigorante ou un bain relaxant, pratiquer la cohérence cardiaque, écrire, peindre ou encore plus simplement le mandala),
– les approches centrées sur les émotions (parler de ce qui va plus ou moins bien, à un proche / un ami, en disant / en nommant ses émotions),
– les approches centrées sur les cognitions (faire la liste de tout ce qui va bien, voir les choses sous un autre angle, définir un emploi du temps bien programmé en fonction de tout ce que vous aimez faire ou penser)…
Nous vous proposons ci-dessous deux « scripts hypnotiques » (3) à l’adresse des soignants, c’est-à-dire des sortes de monologues pour guider sa relaxation : un premier pour se sentir sécurisé au travail et un autre pour se détendre et prendre soin de soi au retour au domicile. Mais auparavant, répondons à quelques questions théoriques.
• Quelle différence peut-on faire entre ces deux approches psychocoporelles, à savoir, l’hypnose (4) et la méditation de pleine conscience (5) ? Quand l’une est définie par un état de conscience élargie, l’autre nous parle de pleine conscience.
– La première, l’hypnose, très indiquée dans le traitement des troubles anxio-dépressifs, s’avère très utile dans les situations d’urgence pour réancrer dans le présent les sujets impactés et sidérés dans cet ailleurs traumatique : tout en installant au préalable un climat de sécurité, elle permet de rejoindre le sujet là où il se trouve, de l’accompagner à sortir confortablement de cet état et de le ramener dans l’ici et le maintenant. Par ailleurs, par une technique de projection, de progression, l’hypnose induit un sentiment comme si nous pouvions avancer le temps et vivre tout en étant ici et maintenant dans le corps conscient et en même temps ailleurs et plus tard dans l’esprit inconscient. Le sujet vit alors une fausse vraie expérience de réalité, qui lui permet de se sentir prêt au moment où il en a le plus besoin.
– La seconde, la méditation de pleine conscience, également très indiquée dans la régulation de l’anxiété permet, en focalisant l’attention sur les éprouvés corporels, de redonner du corps au sujet dans l’ici et maintenant. Le sujet perdu dans cet ailleurs, se retrouve bien ici, là, dans une attention plus ouverte à l’instant présent. Pour I. Célestin-Lhopiteau et P. Wanquet-Thibault (2018), la méditation permet « d’apprendre à ne pas laisser, ni une émotion, ni de façon plus générale, une pensée prendre les rênes ». Dans ces deux séances, à cheval entre hypnose et pleine conscience, le sujet, par complémentarité fait l’expérience d’accueillir, de traverser ses pensées, ses émotions pour enfin transformer son vécu subjectif.
• Une séance écrite, que l’on doit lire, peut-elle vraiment fonctionner ? Amène-t-elle vraiment un état de détente ou une transe ?
Tout dépend de la lecture, et des circonstances. On ne lit pas un article du Monde diplomatique comme on lit un roman (6). A l’image de la littérature, où de belles descriptions détaillées mettent nos sens en éveil, l’hypnose nous transporte à la première personne dès lors que nous y sommes, dès lors que nous vivons, dès lors que nous ressentons cette lecture directement adressée. On ne lit pas dans les transports en commun, comme dans son fauteuil fétiche. Autorisez-vous alors à réunir les meilleures conditions pour votre séance, un endroit calme, dans lequel vous vous sentez bien. Au fil de l’usage de ces techniques librement auto appliquées, je ne peux vous dire si vous rentrerez légèrement dans une transe profonde ou si vous vous installerez profondément dans une transe légère, et peu importe, le niveau de conscience n’a aucune espèce d’importance. Comme le souligne G. Brosseau (2012) quand une femme est enceinte, « elle n’est pas un peu, moyennement ou beaucoup enceinte », elle l’est, il en va de même pour l’hypnose et les autres états de conscience modifié. Une transe tout au moins légère, vous apportera un relachement musculaire et un bien être certain.
Et puis, je voudrais rajouter que bon nombre d’entre nous avons cru, enfants, en l’existence du Père Noël et pour certains longtemps, aujourd’hui vous ne pouvez pas ne pas croire en vous, déjà cinq minutes, peut-être plus et saisir en vous cette part d’enfant que vous avez su conserver. Néanmoins, si vous n’arrivez pas à encore à vous prendre au jeu, et vivre ce moment en accord avec une lecture automatique, autorisez-vous à partager des ressources, à formuler des besoins, à demander à ce que votre conjoint ou votre compagne vous le lise de sa plus belle voix, doucement rythmée et hypnotiquement grave. Une autre possiblité serait de vous enregistrer, peut-être sur votre téléphone, pour vous passer la bande son sécurisante et apaisante, alors toujours disponible, autant que de besoin.
C’est parti ?
A toi, sympathique lecteur,… Je te laisse choisir la juste position, confortable, dans laquelle tu te sens bien déjà et maintenant place à la pratique pour sortir plus grand de cette épreuve par cette issue favorable. Et souviens toi, quand le stress monte dans les aigus, prends ta voix la plus hypnotique et suffisamment grave, et retrouve à ton rythme l’état d’équilibre en juste accord avec la situation… En te souhaitant de belles séances, et te remerciant de prendre soin de toi.
- Télécharger le script 1, Comme dans une bulle de sécurité, une bulle d’immunité, en pdf
- Télécharger le script 2, Une douche en pleine conscience, apaisante et vivifiante, en pdf
Kevin Groguenin, Psychologue, psychothérapeute, CHS de l’Yonne,
Psychologue volontaire CUMP 89.
1– Cellule d’Urgence Médico-Psychologique : Constituées de psychiatres, psychologues, d’infirmières (dédiés ou volontaires) préalablement formés et intégrés aux unités d’aide médicale urgente, ces cellules sont chargées de garantir une prise en charge immédiate et post-immédiate aux victimes d’un événement psychotraumatisant, afin de discriminer les personnes qui présentent un stress adapté (faire face, adaptation à la réalité) de celles qui présentent un stress dépassé (désorganisation, sidération, affollement), et d’éviter l’installation de troubles de stress post-traumatique.
2– Association d’aide aux victimes, Centre Médico-Psychologique de référence ou tout autre professionnel de santé, ainsi que tous les services d’urgence joignables également par téléphone (Samu, Pompiers, Police Secours).
3– Ecrit qui organise le contenu d’une séance d’hypnose, suivant un plan, étape par étape : (1) une induction directe ou indirecte, à partir d’une entrée sensorielle, e.g. kinesthésique, (2) une transition permettant à l’esprit, au fur et à mesure de « voyager plus facilement », (3) une phase de travail, où l’état de conscience modifiée se trouve prolongée par les suggestions et les métaphores proposées, (4) un retour à l’état de conscience ordinaire avec une suggestion post-hypnotique, et la possibilité d’un ancrage. A. Bioy (2017).
4– A. Bioy (2015) définit l’hypnose comme un : « mode de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, fait l’expérience d’un champ de conscience élargi ».
5– J. Kabat-Zinn (1994) définit la méditation de pleine conscience comme une technique qui consiste « à porter intentionnellement attention aux expériences internes (sensations, émotions, pensées, états d’esprit) ou externes du moment présent, sans porter de jugement de valeur ».
6– Comme un roman de Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. Paris. Gallimard; 97
Références bibliographiques.
– BIOY A. L’hypnose. Paris : Presses Universitaires de France ; 2017.
– BIOY A. Découvrir l’hypnose. Paris : Marabout ; 2015.
– BROSSEAU G. L’hypnose, une réinitialisation de nos 5 sens. Paris : Inter Editions ; 2012.
– CÉLESTIN-LHOPITEAU I., WANQUET-THIBAULT P., Guide des pratiques psychocorporelles, Ressources pour les soins et la santé. Paris : Elsevier Masson ; 2018.
