Mettre des mots sur les peurs

N° 235 - Février 2019
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A 17 ans, Assa, qui souffre d'autisme, se replie sur elle-même et a bien du mal à s'affirmer. Comment l'atteindre et l'aider à reconstruire son avenir ? ...

Depuis plusieurs jours, Assa se réfugie dans les toilettes dès son arrivée à l’hôpital de jour (HDJ). Elle s’enferme, pleure et refuse d’aller en classe. Il faut l’intervention de plusieurs soignants pour la déloger et la mettre à l’abri dans l’infirmerie… Comment l’aider ?

Une mère dépassée

 D’origine malienne, Assa, 17 ans, souffre d’autiste et d’un syndrome de l’X fragile, pourvoyeur de troubles atypiques (1). Ses sept frères et sœurs fréquentent tous un Institut médico-éducatif en raison de troubles psychiques. Depuis son arrivée à l’HDJ il y a deux ans, Assa a fait de gros progrès : elle participe à tous les groupes qui rythment son emploi du temps, se montre moins timide et parvient à nouer des relations avec d’autres jeunes. En classe, elle déchiffre des mots simples. Parfois, elle nous confie ses espoirs : elle souhaiterait être davantage autonome, venir seule à l’hôpital, faire des stages et, plus tard, travailler comme « caissière »… Mais concrètement, Assa reste très déficitaire et semble peu capable de s’émanciper en dehors du cadre de l’établissement.
Cette semaine, un entretien avec sa mère a eu lieu. Face au médecin, Assa est restée mutique, le regard ailleurs, comme si tout cela ne la concernait pas. Le médecin a abordé l’avenir d’Assa. Si elle souhaite travailler, elle doit être plus indépendante, commencer à faire des stages. Sa mère, déprimée et mutique, semblait écrasée par le poids du quotidien. Elle élève seule ses enfants malades tandis que le père, très âgé, vit en Afrique avec une autre famille. J’ai profité de ce rendez-vous pour lui redemander, doucement, d’acheter un téléphone portable à sa fille. Assa pourrait peut-être prendre le métro seule, plutôt que de venir en ambulance, et nous joindre en cas de difficulté. De son côté, le médecin a insisté, expliquant à cette maman qu’il fallait avancer, qu’Assa serait bientôt majeure, que nous avions besoin de son aide pour construire un projet de vie pour et avec sa fille. La mère acquiesçait mollement.

Les doutes du soignant

J’ai toutes ces images en tête quand j’entre dans l’infirmerie pour discuter avec Assa. Recroquevillée sous les draps, elle ferme les yeux à mon approche.
Je m’assieds sur une chaise, juste à côté d’elle et lui propose de discuter. Devant son refus, je lui dis que je vais émettre des hypothèses et qu’elle n’a qu’à hocher la tête si elle est d’accord. Assa ne bouge pas. Je prends sur moi pour cacher mon agacement face à cette attitude de repli, que je trouve très agressive. Je mets des mots sur mon désarroi : « Assa, j’ai l’impression que c’est difficile pour toi cette semaine, mais ça l’est aussi pour nous parce que tu ne nous donnes pas beaucoup de pistes pour t’aider. Moi je pense que tu as envie de grandir, de devenir une jeune femme et de faire des choses toute seule. » … « Tu as fait beaucoup de progrès et tu dois continuer, ne pas t’arrêter même si c’est difficile. Tu comprends? »
Assa a la tête collée contre le matelas et j’ai l’impression de parler à un mur. Pourtant, mon instinct me pousse à continuer. J’espère qu’un mot la fera bouger, provoquera une réaction, une étincelle de vie. « Nous avons aussi parlé de l’année prochaine. Tu iras certainement au groupe tremplin, qui t’aidera à préparer ton avenir. Moi, je pense que tu as beaucoup de ressources et que tu pourrais travailler avec les autres, apprendre à te présenter et à faire ton CV. Je suis sûre que tu t’épanouirais beaucoup dans ce groupe, des jeunes que tu aimes bien le fréquentent. »
Assa me fait « non » avec la tête. Pourtant quelque chose se passe, puisqu’elle se redresse et me regarde. Elle réclame un mouchoir, et s’essuie le visage.
« On pourra reparler de tout ça si tu veux. Tu nous as aussi beaucoup parlé de tes cauchemars, de cette forme noire qui avance vers toi et veut te manger. Je ne sais pas ce qu’est cette forme, mais je pense que plus tu nous en parleras, plus tu la décriras, avec tes mots, et moins tu en auras peur. C’est un peu comme les stages, comme le métro, il faut aller voir ce qui nous effraye pour l’apprivoiser. »
Dubitative, je sors de l’infirmerie, persuadée que mes paroles ne l’ont pas atteinte. J’aurais dû me taire, lui tenir simplement la main. Une heure plus tard, je retrouve la jeune fille à table, au milieu de plusieurs ados. Elle rit, plaisante comme si rien ne s’était passé. Je souris. Peut-être mon monologue a-t-il réussi à briser la carapace de la jeune fille. Peut-être s’est-elle calmée toute seule. Qui sait ?…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Maladie génétique rare caractérisée par un déficit intellectuel léger à sévère qui peut être associé à des troubles du comportement et à des signes physiques caractéristiques.