« C’est interdit pour Nick !… »

N° 232 - Novembre 2018
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Débordé par son excitation, Nick, qui souffre d'autisme, a des comportements inadaptés avec les femmes. Comment l'aider pour qu'il puisse s'intégrer et progresser ?

Nick, 17 ans, est un patient autiste que nous accueillons à l’hôpital de jour pour adolescents depuis deux ans. D’origine chinoise, grand et costaud, très peu loquace, il a un visage impassible et impénétrable. Solitaire, il déambule sans cesse, s’arrête parfois pour éclater d’un rire plutôt inquiétant puis reprend tranquillement ses cent pas. Autonome dans les transports en commun, Nick est scolarisé en Unité localisée pour l’insertion scolaire (Ulis). Il sait lire, écrire, multiplier, tout en ayant de gros problèmes de compréhension. Il s’exprime avec des mots-clés, et n’utilise pas le « je » quand il parle de lui.

Une présence envahissante

Les premiers jours, Nick arrive dès l’ouverture de l’hôpital, pose sa veste et se plante devant la salle des soignants. Les collègues se présentent et lui serrent la main. Je m’approche et remarque qu’il regarde ma jupe avec insistance : « Virginie, chaussures, collants, jupe. » Je hoche la tête. Pendant plusieurs mois, Nick me suit partout tous les jours, quelle que soit ma tenue. Comme pour de nombreux jeunes accueillis, la puberté émerge chez lui, puissante, sans qu’il soit en capacité de comprendre ce qui lui arrive. Lorsque nous tentons de lui en parler, Nick répète les propos du soignant en écholalie. Le projet global est de l’aider à mieux gérer ses relations sociales. Nous tentons bien sûr de lui expliquer que son comportement n’est pas acceptable : mes collègues, les médecins, la cadre, chacun le reprend sans que rien ne change vraiment. Je m’habitue à sa présence envahissante. Sans hésitation, ni peur, je le pousse pour passer lorsque je sors des toilettes.
À l’extérieur, son excitation déborde, de manière indifférenciée. Il poursuit des femmes en jupe, qu’elles soient jolies, laides, jeunes, âgées…
Pendant quelques jours, Nick répète en boucle : « Marine, ballerine bleue », tout en se frottant les mains et les cuisses dans une ardeur fiévreuse. Questionné par un soignant, il écrit quelque chose comme « métro ligne 6 Marine ballerine bleue habite 560 rue Vaugirard » et répète cette phrase avec un rire nerveux. Reçus en entretien, les parents de Nick sont inquiets du comportement de leur fils. Ils rapportent que Nick leur a raconté avoir suivi une jeune femme depuis le métro jusque chez elle et que celle-ci, furieuse, l’aurait giflé pour le faire déguerpir. Le médecin pose au jeune homme l’interdiction d’importuner des femmes dans la rue, en lui expliquant qu’il peut se faire arrêter par la police. Ce que Nick incorpore à sa manière en venant déclarer à chaque soignant : « Marine ballerine bleue interdit, c’est interdit pour Nick! »
En réunion clinique, certains déplorent son côté imperméable. De fait, Nick participe peu aux groupes : il regarde ailleurs, semble absent, n’écoute ni les jeunes ni les adultes. Au collège, les enseignants soulignent ses grandes difficultés à être avec les autres. À ce stade, l’un des enjeux est que son attirance envers les femmes ne l’accapare pas totalement et ne bloque pas ses relations avec ses pairs et les soignants.

Un jeu de portrait

Cependant, Nick évolue doucement… Au groupe poésie, alors qu’il pouvait couvrir sa feuille de « Marine ballerine bleue » sans écouter la consigne, il parvient à participer au jeu du portrait chinois (« si j’étais un animal, une plante… je serais… »). Je reformule pour lui : « Nick, quel est ton animal préféré? Ta couleur préférée? Un pays que tu aimes? » Sans hésiter, il écrit : « dragon », « noir », livrant ainsi des choses personnelles.
Récemment, il a jeté son dévolu sur une nouvelle infirmière, et répété ses nom et prénom en boucle sans toutefois la suivre. Il se fait moins pressant avec moi mais vient parfois me chercher dans l’infirmerie pour que je m’occupe d’un bobo. Cet été, il m’a ainsi réclamé de la crème antimoustique. Il appliquait patiemment un peu de produit sur chaque bouton et massait soigneusement avec son doigt. C’était un moment de plaisir qui n’était pas trop excitant pour lui et a permis un début d’échange entre nous, même s’il me répondait souvent par monosyllabes. Avec un autre collègue, Nick a beaucoup investi le jardinage. Il porte de grands pots, retourne la terre de toute sa force, arrache les mauvaises herbes et ne rechigne jamais à remplir les gros arrosoirs. Là aussi, il semble qu’il puisse partager quelque chose et dépenser sa libido. Quelque chose bouge, et petit à petit, nous le comprenons mieux…, clé d’une rencontre un peu authentique avec lui.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .