« Qu’on rouvre les fenêtres ! »

FacebookTwitterLinkedInEmail

La compagnie Anda Jaleo présente son dernier spectacle, Qu'on rouvre les fenêtres !, contruit sur les récits de vie de descendants d'immigrés espagnols. A voir à Avignon jusqu'au 29 juillet 2018. Une critique de Dominique Friard.

Créée en 2003, basée à Villeurbanne, la compagnie Anda Jaleo axe son travail théâtral sur le témoignage et le récit de vie. Après quelques années de travail en Franche-Comté, l’équipe artistique séjourne à Madrid où elle s’imprègne de flamenco. De retour en France en 2010, la troupe s’établit à Villeurbanne. Mue par la volonté d’ouvrir le théâtre au plus grand nombre et convaincue de la valeur sociale du théâtre, elle rencontre la psychiatrie via une résidence d’artiste à la Ferme du Vinatier. Grâce à  une récolte de témoignages auprès des différents acteurs de l’hôpital et de micros-trottoirs réalisés aux abords du Vinatier, la compagnie interroge le regard porté sur l’hôpital psychiatrique et son évolution récente. De cette matière brute est né Mes ailes que personne ne voit un spectacle créé avec les patients de l’hôpital. Pour faire tomber les clichés. Pour s’autoriser à rêver.

Fous, rires fous

Invités par les Ateliers Freudiens de Pontarlier (25), la compagnie propose ensuite un travail plus approfondi. Il s’agit de traiter la question des représentations de la folie pour déconstruire certaines idées toutes faites et contribuer à ouvrir l’hôpital sur la cité. Le rire a cette fois servi de prétexte. A raison d’une semaine par mois, pendant quatre mois, les acteurs et metteur en scène ont animé un atelier de pratique théâtrale au sein de l’hôpital du Grand Vallier. Cet atelier réunissait patients et soignants. A travers les exercices proposés, il s’agissait avant tout d’encourager la confiance et la naissance d’une énergie collective et tenter de s’affranchir du rapport soignant/soigné. Dans la continuité de cette démarche artistique, un spectacle a été écrit à partir de témoignages de personnes rencontrées dans la région de Pontarlier. L’ensemble de ces témoignages a été récolté puis agencé pour nourrir un spectacle Fous, rires fous présenté au Théâtre du Lavoir de Pontarlier. Deux représentations ont eu lieu fin avril 2016. Chacune d’elles s’est jouée à guichet fermé, rencontrant un vif succès. Parmi les spectateurs, familles, amis, collègues, mais aussi beaucoup de personnes venues par hasard, sans lien avec le monde de la psychiatrie. Parmi les participants et les organisateurs, les retours ont été très positifs. En trouvant sa place, chacun a pu participer à une aventure collective intense. « Les personnes qui n’ont parfois pas la parole dans une société qui les juge ont pu se faire les porte-voix de ceux restés dans l’ombre.
Mieux encore, elles en ont ri… »

Il s’agit de vivre

A ces deux premiers spectacles a succédé un troisième, Il s’agit de vivre, réalisé à Dijon, en partenariat avec le CATTP Bachelard et le CHS La Chartreuse. A raison de deux semaines par mois, de septembre à novembre 2017, la compagnie Anda Jaleo a recueilli des témoignages de patients, soignants, familles … sur le thème « D'ici et d'ailleurs, ensemble, faire société ». Le spectacle réalisé a été présenté dans le  cadre du festival « Migrant-scène » organisé par la Cimade, les 23 et 24 novembre 2017 au Théâtre de la Fontaine d’Ouche à Dijon et à la salle des Vergers à La Chartreuse à Dijon.

Qu’on rouvre les fenêtres !

Cet été, au Festival d’Avignon, la troupe est revenue à ses sources hispaniques. Lors de son premier spectacle, en 2003, J’ai muré les portes et les fenêtres, la compagnie avait mis en scène le témoignage de deux femmes : l’une, fille d’un républicain avait subi les représailles franquistes, l’autre disait n’avoir rien vu, rien vécu. Si la première, exilée, livrait son histoire la deuxième, immigrée, se murait dans son silence. La danse et le chant flamenco se mêlait au jeu, renforçant l’intensité des événements racontés et révélant les non-dits. Une même comédienne incarnait les deux femmes, une deuxième comédienne établissait le lien entre la scène et la salle permettant aux spectateurs d’occuper la place des comédiennes témoignaires lors du recueil des témoignages. 

En 2018, deux comédiennes et un comédien incarnent trois descendants d’immigrés espagnols. Les portes ont été murées, l’histoire qui ne s’est pas racontée a fini par coloniser le présent. Ici et là affleure la légende. Une évoque sa grand-mère, un personnage haut en couleur, toujours en rébellion contre l’autorité, d’où qu’elle vienne. Elle a quitté clandestinement l’Espagne en 1939, ses cendres y rentrent, tout aussi clandestinement, soixante ans plus tard. L’autre se souvient d’une grand-mère, sorcière, toute de noir vêtu, une veuve noire, un monde secret palpite dans chacune de ses paroles qui ne savent qu’annoncer les malheurs à venir. Les objets désuets d’un quotidien oublié deviennent des fétiches, des doudous que l’on se transmet religieusement. Restent les berceuses en espagnol qui endorment toujours les bébés. Des personnages à l’identité maltraitée essaient de se construire un présent. Un très beau spectacle à partager.

  • A voir jusqu’au 29 juillet en Avignon (Espace Alya), le mercredi 10 octobre 2018 au Théâtre d’Auxerre (89), le samedi 24 novembre 2018 au Théâtre de Volvic (63)