Comme on fait son lit…

N° 196 - Mars 2015
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En apprenant aux jeunes à faire leur lit, le groupe autonomie leur apporte une aide très concrète. Il s’agit de maîtriser de petits gestes quotidiens pour prendre confiance…

Le groupe autonomie (1), que je coanime avec Mara, une collègue éducatrice spécialisée, vise à développer chez les jeunes des habiletés fonctionnelles. Récemment, nous avons décidé de leur apprendre à faire leur lit. Il s’agit d’entretenir un endroit à soi, de le délimiter pour le repos et le sommeil, et ainsi de prendre soin de soi. Lors de mon premier stage en psychiatrie, j’avais ainsi « pris en charge » une patiente dépressive en lui proposant de l’aider chaque matin à faire son lit. Petit à petit, nous avions tissé autour de ce rituel une véritable relation de confiance et cette patiente avait refait des choses qu’elle ne pensait plus pouvoir effectuer seule.

« C'est Maman qui fait mon lit »

Tous ensemble, nous avons d’abord acheté un oreiller, une taie, un drap-housse, un drap et une couverture. L’atelier autonomie est divisé en deux groupes de niveau différents : Myriam, Émilie, Rachel et Dao constituent un groupe motivé mais présentant des difficultés praxiques et langagières importantes, tandis que Mehdi, Nassim, Ismaël et Lucio forment un groupe plus performant mais avec des difficultés de concentration et d’attention.
Nous nous installons avec le premier groupe autour du lit médical de l’infirmerie. Mara et moi nommons les différents tissus et nous engageons dans une démonstration. Puis nous invitons les adolescents à se lancer. Myriam, une patiente déficitaire avec très peu de langage et un gros ralentissement psychomoteur, se propose spontanément. Nous remarquons qu’elle éprouve beaucoup de plaisir à nous montrer qu’elle sait faire presque toute seule. « Toi, tu as l’habitude de faire ton lit seule ou d’aider ta maman à le faire ! », commente Mara avec un sourire. Myriam acquiesce sans s’interrompre. Puis Émilie se lance. Malgré ses difficultés à déplier le drap ou à border le lit, elle initie les choses et s’appuie sur nous pour terminer ce qu’elle a du mal à faire. Elle aussi a visiblement l’habitude de cette tâche. Rachel boude et refuse de venir, probablement par peur. Cette jeune fille a un langage fluide avec un vocabulaire riche et soutenu, qui cache de gros troubles praxiques. Par rapport aux deux autres, la différence est frappante. Elle ne sait ni tenir le drap ni le déplier. Elle borde la longueur au bout du lit sans remarquer que son drap ainsi posé est trop long d’un côté et trop court de l’autre… Elle s’agite beaucoup, puis s’écroule épuisée sans un mot, une fois le lit bordé. Néanmoins, nous la félicitons et l’encourageons à faire son lit à la maison, seule ou avec l’aide de sa maman. Dao, comme Rachel, a beaucoup de mal dans cette tâche.
Nous accueillons ensuite le second groupe. Mehdi est un jeune garçon psychotique, très intelligent mais qui ne peut jamais se poser tranquillement dans un lieu. À peine installé dans l’infirmerie, il saute sur sa chaise, rit, se tortille, cherche le regard de l’autre, s’excite… Il est en difficulté extrême dans sa tâche et ne parvient pas ni à tenir le drap, ni à le border. Il regarde les autres, en riant nerveusement pour cacher son embarras, ses mains molles et tombantes… Pour sa part, Nassim s’agite, tournoie puis s’arrête. « J’ai pas envie. À la maison, maman fait mon lit. » Ismaël, lui, exprime de grands « non » de l’index, fait les gros yeux, grogne. Quand nous lui mettons finalement le linge dans les mains, il se met au travail et se révèle méthodique, efficace et organisé. Enfin, Lucio, jeune brésilien que nous avons connu totalement délirant et hermétique, se montre parfait. Il comprend et fait preuve d’une relative habileté. Il est le seul à mettre l’oreiller correctement dans la taie.

Faciliter le quotidien

À la fin de la journée, Mara et moi tirons un bilan plutôt positif de cette première expérience et sommes bien décidées à la renouveler. Cet exercice nous a permis de relativiser les difficultés des uns et des autres. Nous sommes heureuses de voir que ces jeunes réussissent à s’organiser et à s’autonomiser. Avec cet acte simple du quotidien, nous essayons de leur donner confiance en eux, et de favoriser leur indépendance. Par ailleurs, ces « allers-retours » entre l’institution et le domicile sont constructifs. Lorsque les familles encouragent et stimulent ces adolescents, ils sont capables de beaucoup et notre travail à nous peut s’en enrichir.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Sur ce sujet, lire aussi Des clés pour le quotidien, Santé mentale, n° 187, avril 2014, www.santementale.fr