N’est pas lanceur d’alertes qui veut !

N° 249 - Juin 2020
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Les réseaux sociaux donnent une grande visibilité aux propos. L’agent de la fonction publique doit cependant respecter le principe de neutralité de son statut et ne pas s’improviser lanceur d’alertes sans réels motifs.

La récente gestion de la pandémie de Covid-19 a souvent été source de tensions et d’incompréhensions pour les professionnels de santé confrontés à des injonctions paradoxales et à un cruel manque de moyens (masques et gel hydroalcoolique notamment). Certains agents ont pris l’initiative d’exprimer publiquement leur exaspération sur les réseaux sociaux, parfois même en postant des documents internes pour appuyer leurs dires. Or, cette communication n’est jamais anodine et peut même être passible de sanctions disciplinaires. Par ailleurs, n’est pas lanceur d’alertes qui veut! La notion est précise. Que cela soit à titre individuel, à l’initiative d’un collectif de l’établissement ou d’un syndicat, la prise de parole d’agent de la fonction publique fait l’objet d’un régime juridique précis.

Liberté d’expression et principe de neutralité

Si, en France, la liberté d’opinion d’un individu est absolue, pour les agents publics, la liberté d’expression fait l’objet d’un régime juridique précis, qui découle du principe de neutralité (obligation de secret, de discrétion professionnelle et devoir de réserve) (1). Même en dehors de ses fonctions, le fonctionnaire y est soumis. À ce titre, il s’expose non seulement à des sanctions pénales en cas d’injures ou de diffamation, mais également à des sanctions disciplinaires en cas d’abus.
– Le devoir de réserve est ainsi entendu comme « imposant aux agents publics de faire preuve de retenue et de mesure dans l’expression publique de leurs opinions, afin de préserver la considération du service public par les usagers » (2).
– L’obligation de discrétion professionnelle est, quant à elle, expressément inscrite dans le statut de la fonction publique et vise « tous les faits, informations ou documents dont les agents ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». Elle s’applique y compris lors de l’exercice d’une activité syndicale.
Le juge administratif considère classiquement que la publication sur les réseaux sociaux de commentaires diffamatoires, grossiers ou injurieux à l’égard de sa hiérarchie ou de son établissement constitue un manquement au devoir de réserve sanctionnable au plan disciplinaire. Il est notamment interdit de diffuser publiquement des documents professionnels (3) ou de manifester une opinion de nature à porter atteinte à l’image et à la considération du service et ce quel que soit le média utilisé, le caractère oral ou écrit des propos (4).
L’obligation de discrétion professionnelle, de par sa définition légale et son interprétation jurisprudentielle, s’applique de plus en plus aux propos tenus sur les réseaux sociaux, y compris par les représentants syndicaux qui ne peuvent être présumés être statutairement des lanceurs d’alerte.

Des conditions du lanceur d’alertes

Classiquement, un agent qui, « dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » (5). À plusieurs reprises, pour compléter ce dispositif, le législateur est intervenu pour instaurer notamment un régime protecteur des lanceurs d’alerte en cas de « menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général » (6). Dans la fonction publique, le lanceur d’alertes doit :
Justifier de plusieurs conditions. Dans tous les cas de figure, les faits signalés doivent être fondés et vérifiables. La charge de la preuve des informations pèse sur le lanceur d’alerte. Par ailleurs, le signalement ne doit pas traduire un comportement déloyal, être de mauvaise foi ou manifester une intention de nuire. Le caractère désintéressé de la démarche est un élément essentiel de cette procédure.
Respecter une procédure graduée. Dans la majorité des cas, l’agent est dans l’obligation d’avertir sa hiérarchie puis les autorités de contrôle (administratif et judiciaire) de sa démarche d’alerte. Ce n’est qu’en l’absence de traitement de sa demande après un délai de trois mois, qu’il a la possibilité de rendre l’information publique et d’avertir la presse. Ce n’est qu’à titre dérogatoire, en cas de « danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles », que le signalement peut être adressé directement « à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels » et simultanément « être rendu public » s’il le souhaite (7).
Notons que, même lorsque le statut de lanceur d’alerte est reconnu, il n’autorise pas l’intéressé à s’en prévaloir pour tenir des propos injurieux ou diffamatoires. S’il ne peut être sanctionné disciplinairement pour les informations rendues publiques, il reste responsable des termes et du ton qu’il emploie, et de la forme de la diffusion retenue.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud

1– Loi n° 2016-1691 du 20 avril 2016.
2– F.-X. Bréchot, concl. sur CAA Nantes, 13 févr. 2017, n° 15NT03204, AJDA 2017. 1008.
3– CE, 20 mars 2017, n° 3993320, licenciement d’un agent suite à la diffusion sur Internet d’éléments détaillés et précis sur les domaines d’activité accompagnés de l’écusson du service.
4– TA Montpellier, 21 septembre 2016, n° 1502085 : propos virulents et grossiers à l’encontre de la hiérarchie sur une page Facebook, paramétrée pour un accès « ouvert ».
5– Article 40 du code de procédure pénale.
6– Art. 6 loi n° 2016-1691 du 9/12/2016 : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, […] ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
7– Art. 8-II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016