Andrea déteste son corps. Pourtant passionné de danse, il se mutile, comme pour se punir. Lors de rendez-vous infirmiers, il parvient à se décharger de questions identitaires étouffantes…
Andrea, 18 ans, est adressé à la consultation Nineteen dans un contexte de scarifications et de passages à l’acte auto-agressifs. Lors du premier entretien infirmier, je découvre un immense jeune homme, les cheveux mi-longs, très musclé. Son corps athlétique contraste avec sa timidité et la douceur de son visage. Il cherche ses mots et les larmes lui viennent facilement. Il vit chez ses parents et poursuit des études de danse au Conservatoire, c’est sa passion, mais évoque un mal-être ancien. Il raconte plusieurs tentatives de suicides avec des passages aux urgences, la première à l’âge de 15 ans par ingestion de Doliprane. C’est aussi à cette période de l’adolescence qu’il commence à se scarifier les bras et les cuisses pour soulager « des crises d’angoisse ».
Depuis quelques mois, son état s’aggrave à nouveau. Andrea n’arrive plus à cuisiner ni à s’alimenter correctement, il a perdu du poids. Il souffre d’insomnies. Il confie avoir recommencé à se scarifier, « c’est la seule chose qui calme mes angoisses et mes idées noires ». Des idées suicidaires le traversent (« ce serait plus simple d’en finir ») mais il n’a pas de velléité de passage à l’acte. Il fume du cannabis tous les soirs pour ne plus penser, recherchant un apaisement.
Plus profondément, il n’a pas l’impression que son corps lui appartienne. Il se voit dans le miroir tous les jours quand il danse et déteste ce qu’il voit. Il précise qu’il se questionne depuis toujours autour de son image, qu’il a envie de « mutiler ». Cela le soulage et le libère, comme après une punition.
Devant ce tableau clinique de dépression, nous lui fixons un rendez-vous rapide avec un psychiatre. Ce dernier instaure un traitement de Fluoxétine, avec de l’Atarax pour dormir le soir.
Retour à la vie ?
Nous revoyons Andrea une semaine plus tard, en rendez-vous infirmier de suivi. Enveloppé dans un grand manteau de fourrure noir, il a l’air encore plus fragile. Il sourit car il se sent un peu mieux. Ce n’est pas encore l’effet des antidépresseurs, qui mettent environ 3 semaines pour agir, mais sans doute celui d’avoir fait un premier pas… Andrea se lève plus facilement et se rend en cours. Tout ce qui lui paraissait impossible redevient plus naturel et plus facile. Il a même diminué sa consommation de cannabis. Il a des projets d’avenir, aimerait danser dans une compagnie à l’étranger…
Soudain plus grave, le jeune homme fronce les sourcils. Il évoque une colère et une grande frustration qu’il a du mal à extérioriser depuis toujours. Il hésite, baisse la tête et murmure que du plus loin qu’il se souvienne, le premier grand raté de sa vie se résume à cette question « Pourquoi je ne suis pas une fille ? ».
Andrea pleure, essuie ses lunettes et rapporte les premières humiliations dans les vestiaires avec les autres garçons, le harcèlement à l’école car il était trop efféminé. Il se souvient pourtant d’une période où c’était facile d’être un garçon, où il se sentait bien avec ses amies filles à qui il pouvait parler de tout. Puis la découverte de la danse, ces moments de grâces où malgré la puberté, il pouvait encore se plaire dans son corps.
Notant cette amélioration et ce « retour à la vie », j’explique à Andrea qu’une psychothérapie pourrait l’aider à mettre des mots sur sa souffrance et l’aider à avancer. J’ai l’impression qu’il se sent déjà soulagé d’un poids.
« C’est bien toi »
Deux semaines plus tard, Andrea arrive en souriant, les cheveux teints en rose, les sourcils maquillés et les ongles de la main droite vernis. Je lui dis que sa nouvelle couleur lui va bien et il exprime le plaisir ressenti en se voyant dans le miroir chez le coiffeur. Il sourit malicieusement en rapportant la surprise de sa mère – « Tu vas rester comme ça ? » – et l’encouragement de son père – « ça te va bien, c’est bien toi, c’est chouette que tu aies osé le faire ».
Quelque chose a bougé dans la vie d’Andrea. Il s’est même acheté une robe, et s’il n’a pas encore osé sortir avec, il s’autorise à jouer avec son apparence selon ses désirs. Andrea commence à se regarder différemment, et à s’accepter comme il est. Retrouvant la joie de danser, il prépare avec enthousiasme un spectacle de fin d’année. Le chemin sera sûrement encore long mais le jeune homme semble regarder son corps non plus comme un ennemi mais comme un allié qu’il apprend petit à petit à apprivoiser…