Psychologue clinicien américain et expert en hypnose ericksonienne, Dan Short a consacré sa carrière à approfondir et transmettre cet héritage. Dans cet entretien, conduit par l’hypnothérapeute Stéphane Breton, il revient sur sa démarche thérapeutique et ses perspectives.
Stéphane Breton : Quelles sont, selon vous, les contributions fondamentales de Milton Erickson à la psychothérapie ?
Dan Short : Je crois que la plus grande contribution d’Erickson à la psychothérapie est l’introduction de la notion de « l’utilisation des ressources » comme stratégie thérapeutique. Bien qu’il l’ait qualifié de « technique », c’est beaucoup plus que cela. « L’utilisation des ressources » est une approche très vivante de l’homme. Elle permet de mettre en lumière l’intérêt des thérapies axées sur les compétences, leur approche pragmatique en termes de résolution des problèmes individuels. Avant Erickson, la thérapie était axée sur la catégorisation des problèmes des personnes et l’augmentation de leur compréhension en termes de déficit émotionnel, c’est-à-dire tenter de répondre à la question « qu’est-ce qui ne va pas chez vous ?». Aujourd’hui, les patients disent à leurs psychologues : « N’essayez pas de m’analyser ! ». Les personnes se sentent menacées par cette assignation critique.
Erickson a fait le contraire. Il a aidé ces personnes à mieux comprendre leurs forces et leurs capacités, c’est-à-dire à répondre à la question « qu’est-ce qui vous convient ? ». L’intérêt de « l’utilisation des ressources » est qu’elle part du principe que chaque comportement constitue potentiellement un « but utile » pour la personne. Ainsi, Erickson utiliserait un comportement symptomatique tel que « l’illusion d’être le Messie » pour le transformer en un comportement plus profitable pour la personne sous l’angle de la « motivation à accomplir des actes au service des autres ». C’est ce que j’appelle « le soin de la conscience humaine ». Les hommes commencent à s’épanouir réellement (psychologiquement et physiquement) une fois qu’ils peuvent percevoir la valeur de qui ils sont.
La recherche moderne soutient désormais ce principe. Par exemple, si vous avez deux groupes de personnes qui essaient de perdre du poids, et qu’on dit à l’un des groupes de se concentrer sur ce qu’il ne fait pas correctement en matière alimentaire ou sportive, et que l’autre groupe est invité à se concentrer plutôt sur ses ressources, ce dernier groupe est celui qui obtiendra la meilleure perte de poids. Non seulement cela, ces personnes seront aussi plus heureuses et elles auront une meilleure estime de soi. Cette approche optimiste est axée sur la recherche du bien chez les autres. « L’utilisation des ressources » est une forme d’humanisme que j’explique en détail dans mon livre, De William James à Milton Erikson – Prendre soin de la conscience humaine (1).
Comment votre approche thérapeutique s’inscrit-elle dans ce contexte ?
Mon approche personnelle de la thérapie est centrée sur le travail d’Erickson. Comme lui, je considère la thérapie comme une entreprise qui vise à résoudre des problèmes. Mais je suis moins intéressé par la résolution de problèmes que par l’évolution des compétences propres à chacun en la matière.
Par exemple, un homme qui est récemment venu me demander de l’aide pour une détresse œsophagienne / gastro-intestinale d’ordre psychosomatique, est revenu plus tard pour me dire qu’il avait été surpris par ses changements de comportement et ses interactions devenues différentes avec les autres. Comme il me l’a dit : « Je sais que cela a quelque chose à voir avec mes choix personnels et les histoires que vous m’avez racontées. »
Dans un courriel conçu pour valider ses progrès, je lui ai dit : « encore plus important que les changements que vous avez décrits, je pense que vous allez faire l’expérience d’une plus grande possibilité de choix dans votre vie. Lorsque le choix est réalisé, les personnes s’adaptent et évoluent radicalement. » Non seulement il a appris qu’il y avait plusieurs choix pour faire face à ses symptômes mais qu’une autre relation à ses émotions était envisageable ainsi qu’une capacité à motiver les autres en ce sens. Ce principe lui a été transmis à travers les histoires que je lui racontais et les exercices utilisant des images guidées (visualisation). À termes, cette prise de conscience irriguera tous les domaines de sa vie. Cela me rappelle le dicton suivant : « Donnez un poisson à un homme et il est nourri pendant une journée. Mais apprenez-lui à pécher et il est nourri pour toute sa vie. » Dès lors, mon objectif de résolution de problèmes vise « l’infini plutôt que fini ».
Lorsque vous adoptez un état « d’esprit infini », reconnaissant que la vie est une série sans fin de défis, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de tel que d’avoir tous vos problèmes résolus, alors une approche finie de la résolution de problèmes semble terriblement inadéquate. Non seulement cela, mais le concept de « changement » commence à sembler mesquin.
Si le corps et le cerveau humains sont conçus de manière évolutive pour exister en tant que « machines » à résoudre des problèmes, alors quelle partie doit être changée ? Nous devrions nous demander pourquoi la psychothérapie est devenue si obsédée par le concept de changement. Cette perspective responsabilise-t-elle le client ou profite-t-elle principalement au thérapeute ? C’est une perspective potentiellement problématique qui peut se transformer en une question de pouvoir, ce qui crée naturellement une résistance à la thérapie. Les gens veulent être eux-mêmes. Ils ne veulent pas être changés par quelqu’un d’autre. Par conséquent, j’ai tendance à me concentrer sur l’expansion des possibilités de choix chez chacun. Comme Erickson, je crée un espace pour que les personnes définissent leurs propres problèmes (plutôt que d’être soumis à l’opinion d’une figure d’autorité) et je les soutiens dans leur recherche singulière de solutions (plutôt que de leur dire quoi faire). Le résultat est un élargissement de l’expérience subjective du choix. C’est similaire à l’idée de créer un espace de contrôle interne, mais ce que je décris est beaucoup plus large que cela. Cela implique également l’utilisation du contexte expérientiel et des tendances innées de la personne : ses inclinations personnelles. (…)
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Milton Erickson (1901-1980), psychiatre et hypnothérapeute américain, est fondateur d’une approche thérapeutique centrée sur la conviction que le patient possède en lui les ressources nécessaires pour répondre de manière appropriée aux situations dysfonctionnelles qu'il rencontre. Il a révolutionné l’approche hypnotique en développant une méthode permissive et indirecte, basée sur le langage symbolique, les métaphores et l’utilisation des ressources inconscientes du patient. Connu pour son humanisme et sa créativité, il a influencé de nombreux praticiens et contribué à élargir la réflexion psychothérapeutique.
Entretien réalisé par Stéphane Breton, hypnothérapeute
1– De William James à Milton Erikson – Prendre soin de la conscience humaine, Dan Short, Ed. Satas, 2021, 25,50€.