En quoi consistent les comportements de citoyenneté organisationnelle au travail ? Comment les définir et les favoriser ? Quels intérêts mais aussi quelles limites ?
Au travail, les comportements de citoyenneté organisationnelle (CCO) désignent l’ensemble des conduites individuelles qui dépassent le cadre strict des relations contractuelles. Ils contribuent à l’entretien et à l’enrichissement du contexte social et psychologique qui supporte la performance. Ces comportements peuvent être catégorisés selon qu’ils sont dirigés vers l’organisation (CCO-O), vers les autres individus (collègues) (CCO-I) ou vers les clients/patients (CCO-C/P).
– Les CCO-O intègrent des conduites de loyauté vis-à-vis de l’organisation elle-même mais aussi envers les politiques et procédures prescrites comme envers les aléas : s’abstenir de critiquer son organisation à l’extérieur de celle-ci jusqu’à en faire la promotion, se mobiliser contre les menaces extérieures éventuelles et savoir identifier les opportunités pour son organisation, anticiper une absence en prévenant son responsable hiérarchique, éviter de se plaindre inutilement et adopter un esprit constructif, s’impliquer pour faire son travail avec professionnalisme en portant attention aux détails qui font la différence.
– Les CCO-I comportent les attitudes qui assistent et soutiennent les membres de l’organisation. Elles regroupent une dimension dite d’altruisme, qui favorise l’entraide et la coopération : apporter son soutien à un collègue qui a été absent ou fait face à des difficultés dans son travail par exemple. Une autre dimension renvoie à la courtoisie, la conciliation et l’encouragement. Il s’agit par exemple d’être attentif aux conséquences de ses actions sur les autres, savoir être à l’écoute et apporter un soutien moral.
– Les CCO-C/P regroupent les comportements qui prennent en compte la satisfaction des bénéficiaires tout en respectant le cadre des enjeux métier : savoir sourire, avoir de l’empathie, répondre avec promptitude aux besoins des clients/patients quand c’est possible, personnaliser la relation ou encore renvoyer de l’assurance.
Un cercle vertueux dans le collectif soignant
Les CCO constituent un levier de performance à différents niveaux : relationnel, organisationnel et en matière de qualité de service.
Ils contribuent à favoriser la coopération, la productivité et la satisfaction des clients/patients. Ils accroissent la performance adaptative, c’est-à-dire la capacité à développer de nouvelles compétences, à résoudre des problèmes, à s’adapter à des situations imprévisibles et à gérer le stress qui en découle. Enfin, ils jouent un rôle en matière d’attractivité et de fidélisation des personnels.
Cependant, à titre individuel, s’impliquer pour davantage de citoyenneté organisationnelle peut sembler contre-intuitif à certains soignants. Se mobiliser en ce sens est parfois d’autant plus difficile que cela ne fait pas partie de son cadre de référence métier comme de ses pratiques réelles de travail. D’abord, parce que le monde du travail a longtemps légitimé l’agressivité, la soumission à l’autorité, la compétition dans les rapports sociaux plutôt que la bienveillance – autant de comportements aujourd’hui plutôt considérés comme antisociaux que comme prosociaux.
Au sein du collectif de travail, les CCO enclenchent, dans une certaine mesure, un cercle vertueux. Sont probablement à l’oeuvre non seulement un effet d’imitation, qui pousse à reproduire un comportement tenu pour exemplaire chez autrui, mais aussi un mécanisme de don et de contre-don, bien connu des anthropologues. Les théories du don (1) postulent en effet que les interactions sociales reposent sur une triple obligation de « donner-recevoir-rendre », qui finit par former une sorte de contrat social basé sur la réciprocité et crée un état de dépendance mutuelle entre les individus, à partir duquel le lien social est en permanence re-créé. Chaque attention (don) fait ainsi l’objet d’une modalité de remerciement (recevoir), et est ensuite rendue, sous une forme ou une autre. En matière de citoyenneté organisationnelle, un geste ou comportement prosocial fait ainsi l’objet d’un accusé de réception et de remerciement, puis d’une attention réciproque : « Tu m’as aidé, l’autre jour, à soigner tel patient ; aujourd’hui, je t’aide à ranger la pharmacie ».
Le rôle du management
Le management peut jouer un rôle de frein ou de facilitateur dans le développement de la citoyenneté organisationnelle. Un climat perçu d’équité y est par exemple, favorable. Par ailleurs, aussi positive soit-elle, la citoyenneté organisationnelle n’est pas exempte de risques, qu’il convient de prendre en compte. Ainsi, le manque d’authenticité ou de sincérité peut exposer à des dilemmes éthiques ou à des situations de conflits silencieux, ou encore avoir un coût psychique élevé. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on se sent obligé d’entretenir une identité de façade (faux self) sans pouvoir lors de moments dédiés exprimer ce que l’on pense et ressent. Par exemple, si la surcharge de travail collective et chronique n’est régulée que par l’entraide, il y a un risque d’épuisement. Sur ce sujet, les fondamentaux liés au suivi régulier de la charge de travail et l’ensemble des mesures organisationnelles, qu’elles soient préventives ou régulatrices, ont un rôle clé qui doit faire l’objet d’une attention soutenue. Autant dire que la citoyenneté organisationnelle a encore quelques défis à relever…
Philippe Zawieja, psychosociologue du travail et directeur de la recherche,
Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et des organisations et directeur général,
Cabinet Ekilibre Conseil
1– Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (1925). PUF, coll. Quadrige / Sociologie et Sciences de l’éducation, rééd. 2023.